Le Conseil de surveillance annule la décision du Meta dans le cas Documentaire sur des abus sexuels d'enfants au Pakistan

Le Conseil de surveillance a annulé la décision de Meta de supprimer un film documentaire publié par Voice of America (VOA) Urdu, qui révèle l’identité d’enfants victimes d’abus sexuels puis assassinés au Pakistan dans les années 1990. Bien que le Conseil estime que la publication a enfreint le Standard de la communauté relatif à l’exploitation sexuelle, à la maltraitance et à la nudité d’enfants, la majorité est d’avis que le présent cas aurait mérité l’application d’une tolérance d’intérêt médiatique. Selon ces membres du Conseil, l’intérêt public continu quant aux reportages sur la maltraitance infantile dépasse les éventuels préjudices qui découlent de l’identification des victimes, qui n’ont pas survécu à ces crimes survenus il y a 25 ans. Principalement attaché à relater les faits et sensible au sort des victimes, le documentaire de VOA Urdu aurait pu informer le débat public sur la problématique répandue des abus sexuels commis sur des enfants, qui reste peu signalée au Pakistan. Ce cas met également en exergue la façon dont Meta pourrait mieux expliquer à ses utilisateurs les politiques qui bénéficient ou non des exceptions.

À propos du cas

En janvier 2022, le diffuseur Voice of America (VOA) Urdu a publié sur sa page Facebook un documentaire de 11 minutes consacré à Javed Iqbal, qui a assassiné et commis des abus sexuels sur une centaine d’enfants au Pakistan dans les années 1990. Ce documentaire en langue ourdou relate des faits bouleversants sur les crimes et le procès de l’auteur. On peut y voir certaines images de coupures de journaux qui montrent clairement les visages des enfants victimes ainsi que leurs noms, tandis que d’autres photos dévoilent des personnes en pleurs, potentiellement les proches des enfants victimes. La légende de la publication indique qu’un autre film sur ces mêmes crimes a récemment fait parler de lui dans l’actualité, tout en avertissant les spectateurs du contenu du documentaire. Cette publication a été vue environ 21,8 millions de fois et partagée environ 18 000 fois.

Entre janvier 2022 et juillet 2023, 67 utilisateurs l’ont signalée. Suite à deux examen manuel et automatisé menés, Meta a conclu que le contenu ne constituait pas une infraction. La publication a également été signalée séparément par le système HERO (High Risk Early Review Operations) de Meta, en raison de la forte probabilité qu’il devienne viral. L’équipe interne de Meta a donc procédé à un examen manuel, en s’appuyant sur son expertise linguistique, du marché et de la politique (plutôt que de faire appel à une équipe de modération manuelle externe). Après avoir fait remonter le contenu en interne, l’équipe chargée de la politique chez Meta a annulé la décision initiale de le conserver et l’a supprimé en raison de son infraction de la politique sur l’exploitation sexuelle, la maltraitance et la nudité d’enfants. L’entreprise a décidé de ne pas lui appliquer une tolérance d’intérêt médiatique. Meta a ensuite saisi le Conseil.

Principales observations

La majorité du Conseil affirme que Meta aurait dû appliquer la tolérance d’intérêt médiatique à ce contenu, et le conserver sur Facebook. Selon le Conseil, la publication a enfreint le Standard de la communauté sur l’exploitation sexuelle, la maltraitance et la nudité d’enfants, les enfants victimes étant identifiables par leurs visages et leurs noms. Cependant, la majorité estime que l’intérêt public qui réside dans le fait de relater ces crimes commis contre des enfants dépassait les préjudices susceptibles de toucher les victimes et leurs familles. En prenant sa décision, la majorité a remarqué que le documentaire avait été produit afin de sensibiliser l’opinion publique, ne dramatise pas les détails horribles et, surtout, que les crimes se sont déroulés il y a environ 25 ans, et qu’aucune des victimes n’est encore en vie. Le temps qui passe est le facteur le plus important, car cela implique que les éventuels préjudices qui pourraient affecter les enfants victimes ont diminué. En attendant, l’intérêt public demeure lorsqu’il s’agit d’abus commis sur des enfants.

Les spécialistes que le Conseil a consultés ont confirmé que les abus sexuels commis sur des enfants sont très répandus au Pakistan, mais que ces faits sont très peu signalés. La majorité a consulté les rapports d’experts sur les antécédents du Pakistan en matière de répression des médias indépendants et de musellement de la dissidence, sans parler de l’absence de mesures visant à empêcher ou à punir les graves crimes commis contre des enfants. Les plateformes de réseaux sociaux sont donc essentielles pour informer et obtenir des informations sur ce problème. Dans le cas présent, le documentaire de VOA Urdu a particulièrement contribué aux discussions publiques.

Une minorité du Conseil indique que, bien que la vidéo ait soulevé des questions d’intérêt public, ces sujets auraient pu être abordés en détail sans pour autant nommer et montrer les visages des victimes, et que par conséquent le contenu aurait dû être supprimé.

Le Conseil s’inquiète du temps qu’il aura fallu (18 mois) à Meta pour enfin décider du sort de ce contenu, pendant lequel il aura été vu 21,8 millions de fois, et se demande si les ressources de Meta pour les vidéos en langue ourdou sont suffisantes. Bien que la très peu utilisée tolérance d’intérêt médiatique, une exception générale que seules les équipes de spécialistes de Meta peuvent appliquer, fût pertinente dans le présent cas, le Conseil remarque qu’aucune exception à la politique spécifique, telle que pour sensibiliser ou informer l’opinion publique, n’a été prévue dans le cadre de la politique sur l’exploitation sexuelle, la maltraitance et la nudité d’enfants. Meta doit clarifier ces questions auprès de ses utilisateurs.

Par ailleurs, elle pourrait préciser dans le langage public de cette politique ce qui peut être considéré comme une identification de victimes présumées « par le nom ou l’image ». Si VOA Urdu avait reçu une explication plus détaillée des règles qu’il enfreignait, il aurait pu republier son documentaire en retirant les images offensantes, par exemple en floutant les visages des victimes, si cela est autorisé.

Décision du Conseil de surveillance

Le Conseil de surveillance a annulé la décision de Meta de supprimer le contenu et demande que la publication soit restaurée.

Le Conseil recommande à Meta ce qui suit :

  • Intégrer une nouvelle section dans chaque Standard de la communauté décrivant les exceptions et tolérances qui s’appliquent. Si Meta prévoit une justification spécifique pour ne pas autoriser certaines exceptions qui s’appliquent à d’autres politiques (telles que pour les reportages ou la sensibilisation), Meta doit l’inclure dans cette nouvelle section.

Pour en savoir plus

Pour lire l’intégralité de la décision, cliquez ici.

Pour lire un résumé des commentaires publics relatifs à ce cas, cliquez ici.

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