Le Conseil rend une décision accélérée concernant des cas de violence postélectorale au Venezuela
5 septembre 2024
Le Conseil de surveillance a rendu aujourd’hui une décision accélérée concernant deux cas de violence qui ont eu lieu au Venezuela depuis les dernières élections. Ces cas, annoncés le 22 août, ont fait l’objet d’une décision dans un délai accéléré de 14 jours. Le Conseil est tenu de rendre des décisions accélérées dans un délai de 30 jours.
Les deux publications font référence à des groupes armés soutenus par l’État, nommés « colectivos », qui ont participé à la répression des manifestants à la suite des élections présidentielles de juillet 2024 au Venezuela.
Dans le premier cas, le Conseil approuve la décision de Meta de conserver une publication sur Instagram. Il estime que la déclaration « Allez en enfer ! J’espère qu’ils vous tueront tous ! » est une déclaration d’aspiration concernant les colectivos qui est autorisée en vertu de l’exception relative aux auteurs de violences.
Dans le second cas, concernant une publication Facebook, le Conseil conteste l’avis de Meta qui considère que, dans le contexte de la crise actuelle au Venezuela, la déclaration de la publication, suggérant que les forces de sécurité devraient « tuer ces maudits colectivos », constitue un appel à l’acte menaçant. Étant donné que l’utilisateur reproche aux forces de sécurité de ne pas avoir défendu la population contre les violences perpétrées par les colectivos, et que les forces de sécurité sont liées aux colectivos, les deux étant engagés dans la répression de l’opposition, il est très peu probable qu’elles attaquent, ou même qu’elles soient perçues comme voulant attaquer, les colectivos, qui semblent cibler les personnes dans la vidéo par la violence et le harcèlement. Il est donc préférable d’interpréter cette déclaration, à la fois dans le contexte de la vidéo et de la crise plus générale au Venezuela, comme l’expression de la peur et de la frustration sur l’une des voies limitées de la liberté d’expression dans le pays. En conséquence, le Conseil estime que des déclarations comme celles contenues dans cette publication sont mieux comprises, dans le contexte actuel du Venezuela, comme des déclarations d’aspiration non crédibles, éligibles à l’exception relative aux auteurs de violences, et annule la décision de Meta de supprimer la publication.
Vous pouvez lire l’intégralité de la décision du Conseil ici.
À propos des cas
Le Venezuela vit dans la tourmente depuis les élections présidentielles du 28 juillet 2024. L’annonce par les autorités vénézuéliennes de la victoire de l’actuel président Nicolás Maduro, à la suite de résultats largement contestés, a déclenché la protestation de milliers de citoyens, et M. Maduro a, à son tour, décidé de répondre d’une « main de fer ». Le gouvernement a tout d’abord entrepris de restreindre l’accès à certaines plateformes de réseaux sociaux et d’encourager les citoyens à dénoncer les contestataires aux autorités. En parallèle, des milliers de personnes ont été placées en détention et plus d’une vingtaine ont été tuées, dans le cadre de mesures répressives impliquant les colectivos.
Dans les semaines qui ont suivi les élections, les modérateurs de Meta ont observé une hausse significative de la publication de contenus anti-colectivos. Cette situation a soulevé des questions épineuses quant au devoir de l’entreprise de parvenir à un juste équilibre entre la modération de publications susceptibles de contenir des critiques politiques vitales, et la volonté de sensibiliser l’opinion aux violations des droits de l’homme dans un environnement répressif, avec le recours à des propos violents dans une période aussi volatile.
La politique de Meta en matière de violence et d’incitation interdit les menaces de violence, définies comme « des déclarations ou des images représentant une intention, une aspiration ou un appel à la violence contre une cible ». Auparavant, Meta reconnaissait dans la justification de sa politique qu’elle présumait que les « menaces conditionnelles ou d’aspiration à la violence » visant les auteurs de violences étaient « non crédibles, en l’absence de preuves spécifiques du contraire ». Le 25 avril 2024, Meta a mis à jour ses règles pour inclure une exception qui autorise « les menaces lorsqu’elles sont partagées dans un contexte de sensibilisation ou de condamnation […] ou certaines menaces contre des auteurs de violences, comme des groupes terroristes ».
Ces deux cas concernent des vidéos postées après l’élection présidentielle de juillet 2024 et pendant les manifestations qui ont suivi.
Dans le premier cas, un utilisateur d’Instagram a publié une vidéo en espagnol sans légende. La vidéo semble être prise depuis l’intérieur d’un complexe d’appartements et montre un groupe d’hommes armés sur des motos qui s’approchent de l’immeuble. On entend une femme crier que les colectivos essaient d’entrer dans le bâtiment. L’auteur de la vidéo s’écrie : « Allez en enfer ! J’espère qu’ils vous tueront tous ! » Meta a estimé que ce contenu n’enfreignait pas sa politique en matière de violence et d’incitation, car, selon l’entreprise, il s’agissait d’une déclaration conditionnelle ou d’aspiration contre un auteur de violences plutôt que d’un appel à l’acte.
Dans le second cas, un utilisateur de Facebook a partagé une vidéo qui semble avoir été prise depuis une moto en mouvement. On y voit un groupe d’hommes à moto, vraisemblablement des colectivos, et des gens qui courent dans la rue. L’homme qui filme la vidéo explique en criant que les colectivos les attaquent. La vidéo est accompagnée d’une légende, rédigée en espagnol, prenant à parti les forces de sécurité, accusées de ne pas défendre les citoyens, et disant qu’elles devraient aller « tuer ces maudits colectivos ». En vertu de la politique relative à la violence et à l’incitation, Meta a retiré cette publication, perçue comme un encouragement à commettre des actes de violence d’une extrême gravité.
Principaux constats
Le Conseil estime qu’aucune des deux publications n’enfreint les politiques de contenu de Meta et que, dans le contexte de la crise actuelle au Venezuela, l’autorisation de ces deux éléments de contenu est également conforme aux valeurs de Meta et à ses responsabilités en matière de droits de l’homme.
Dans le premier cas, le Conseil approuve la décision de Meta de conserver le contenu sur Instagram. Il estime que la déclaration « Allez en enfer ! J’espère qu’ils vous tueront tous ! » est une déclaration d’aspiration qui est autorisée en vertu de l’exception relative aux auteurs de violences.
Toutefois, dans le second cas, le Conseil conteste l’avis de Meta qui considère que la déclaration dans la publication Facebook, suggérant que les forces de sécurité devraient « tuer ces maudits colectivos », constitue un appel à l’acte menaçant. Il estime que ce contenu est similaire à la publication Instagram et que, dans le contexte dans lequel elle a été publiée, elle devrait également être considérée comme un appel à l’acte pouvant bénéficier de l’exception relative aux auteurs de violences. Le Conseil estime que la référence aux forces de sécurité et le fait que l’utilisateur leur reproche de ne pas avoir défendu la population contre les violences perpétrées par les colectivos sont tous deux pertinents pour comprendre le contenu dans son ensemble.
Dans ce contexte, la menace, qui pourrait être interprétée littéralement comme un appel à l’acte, n’est pas crédible et peut donc être considérée comme une aspiration pour plusieurs raisons. Les forces de sécurité sont liées aux colectivos et il est donc très peu probable qu’elles les attaquent. En outre, les colectivos semblent viser les personnes figurant dans la vidéo par la violence et le harcèlement. Dans ce contexte, il est préférable d’interpréter la déclaration « tuer ces maudits colectivos », à la fois dans le contexte de la vidéo et de la crise plus générale au Venezuela, comme l’expression de la peur et de la frustration sur l’une des voies limitées de la liberté d’expression dans le pays.
À ce titre, le Conseil estime que les déclarations telles que celles contenues dans cette publication sont mieux comprises comme des déclarations d’aspiration non crédibles couvertes par l’exception relative aux auteurs de violences. Les personnes qui ont publié le contenu sont des particuliers, sans influence ou autorité significative sur d’autres, partageant leurs expériences directes de la violence ou du harcèlement que les colectivos leur infligent. Les cibles de la violence d’aspiration sont des forces soutenues par l’État qui ont contribué à la répression persistante de l’espace civique et à d’autres violations des droits de l’homme au Venezuela, y compris dans la crise postélectorale actuelle. En revanche, la population civile a été en grande partie la cible de violations des droits de l’homme. La suppression de ce contenu a un impact négatif significatif sur les personnes dénonçant les actes des colectivos, qui sont confrontées à d’énormes contraintes en matière de liberté d’expression et de responsabilisation de l’État et des acteurs soutenus par l’État.
Le Conseil est également très préoccupé par le fait que la politique de Meta visant à réduire la distribution de contenu politique pourrait compromettre la capacité des utilisateurs exprimant un désaccord politique et sensibilisant à la situation au Venezuela à atteindre le public le plus large possible. Si tel est le cas, le Conseil estime qu’un levier politique pourrait être inclus dans son protocole de politique de crise afin de garantir que le contenu politique, en particulier autour des élections et des manifestations postélectorales, puisse bénéficier de la même portée que le contenu non politique.
Enfin, le Conseil a souligné à plusieurs reprises l’importance d’évaluer le contexte pour garantir la protection du discours politique, en particulier dans les pays en conflit ou confrontés à des contraintes importantes en matière de liberté d’expression. Lorsque Meta identifie une situation de crise, comme dans le cas présent, le protocole de politique de crise devrait également être appliqué pour mieux répondre aux réalités des personnes visées par la violence étatique et leur manière de s’exprimer sur ses plateformes, comme dans le cas du Venezuela. En particulier dans les contextes de répression de la dissidence démocratique, lorsque les menaces paraissent peu crédibles et que la probabilité que ces contenus conduisent à des violences hors ligne est faible, Meta devrait ajuster sa politique et ses directives d’application en conséquence. Ces ajustements devraient faire l’objet de révisions régulières, avec la contribution des groupes potentiellement affectés et des parties prenantes concernées.
Remarque : Le Conseil de surveillance est un organisme indépendant qui examine les décisions de Meta concernant la suppression ou le maintien de contenus sur Facebook et Instagram dans divers cas emblématiques. Il examine et, le cas échéant, annule les décisions de l’entreprise. Les décisions du conseil sont contraignantes pour Meta.