Le Conseil de surveillance confirme la décision de Meta relative au cas des commentaires d’une personnalité politique sur les changements démographiques.
12 mars 2024
Le Conseil de surveillance a confirmé la décision de Meta de laisser en ligne un vidéo-clip dans lequel l’homme politique français Éric Zemmour discute des changements démographiques en Europe et en Afrique. Le contenu n’enfreint pas le standard de la communauté de Meta sur les discours haineux puisqu’il n’attaque pas directement les personnes sur la base d’une caractéristique protégée comme l’origine ethnique ou nationale. La majorité du Conseil estime qu’en laissant le contenu en ligne, Meta fait preuve de cohérence avec les responsabilités en matière des droits humains qui lui incombent. Le Conseil recommande néanmoins à Meta de clarifier publiquement comment est opérée la distinction entre les simples discussions sur le thème de l’immigration et les discours dangereux, et notamment les théories du complot haineuses qui ciblent certaines personnes sur la base de leur statut d’immigrées.
À propos du cas
En juillet 2023, un vidéo-clip dans lequel l’homme politique français Éric Zemmour discute des changements démographiques en Europe et en Afrique a été publié sur sa page Facebook officielle par l’admin de la page. Le clip est extrait de la vidéo d’une interview de Zemmour. Dans cette vidéo, il déclare : « Since the start of the 20th century, there has been a population explosion in Africa. » (Depuis le début du XXe siècle, l’Afrique connaît une explosion démographique.) Il poursuit en affirmant que, à l’inverse de la population européenne qui s’est stabilisée autour des 400 millions d’individus, la population africaine a augmenté pour atteindre 1,5 milliard de personnes « so the power balance has shifted » (de sorte que le rapport de forces s’est inversé). La légende de la publication, en français, indique que dans les années 1900, « when there were four Europeans for one African, [Europe] colonized Africa » (quand il y avait quatre Européens pour chaque Africain, [l’Europe] a colonisé l’Afrique) et que, désormais, « there are four Africans for one European and Africa colonizes Europe » (il y a quatre Africains pour chaque Européen, et l’Afrique colonise l’Europe). La page Facebook de Zemmour est suivie par 300 000 followers, et cette publication a été vue quelque 40 000 fois en six mois.
Zemmour a fait l’objet de plusieurs poursuites judiciaires et a été reconnu coupable à plusieurs reprises en France pour incitation à la haine raciale et pour ses commentaires racistes sur les personnes musulmanes, africaines et noires. Candidat à l’élection présidentielle de 2022, il n’est pas passé au deuxième tour. Sa campagne électorale était axée sur la théorie du grand remplacement, selon laquelle les populations européennes blanches sont délibérément remplacées ethniquement et culturellement en raison des flux migratoires et de la croissance des minorités. Les linguistes soulignent que cette théorie et les termes qui y sont associés « incitent au racisme, à la haine et à la violence envers les personnes immigrantes et européennes non blanches, et qu’ils visent tout particulièrement les personnes musulmanes ». L’extrait vidéo repris dans la publication ne mentionne pas spécifiquement la théorie.
Deux personnes ont signalé le contenu pour infraction à la politique de Meta sur les discours haineux, mais comme l’examen de ces signalements n’a pas été considéré comme une priorité pendant 48 heures, ils ont tous les deux été automatiquement classés sans suite. Les systèmes automatisés de Meta accordent la priorité à certains signalements en fonction de la gravité de l’infraction présumée, de la viralité du contenu (nombre de vues) et de la probabilité qu’une infraction ait été effectivement commise. L’une des deux personnes a ensuite fait appel auprès de Meta, à la suite de quoi un membre des équipes d’examen manuel de l’entreprise a décidé que le contenu n’enfreignait pas les règles de Meta. L’utilisateur a alors fait appel auprès du Conseil.
Principales observations
La majorité du Conseil a conclu que le contenu n’enfreignait pas le standard de la communauté de Meta sur les discours haineux. Le vidéo-clip contient un exemple d’opinion protégée (bien que controversée) sur l’immigration ; il ne contient aucun appel à la violence et n’a pas directement recours à des termes déshumanisants ou haineux pour qualifier des groupes vulnérables. Bien que Zemmour ait été poursuivi pour son utilisation de termes haineux par le passé et que les thèmes de cette vidéo évoquent la théorie du grand remplacement, ces faits ne justifient pas la suppression d’une publication qui n’enfreint pas les standards de Meta.
Pour qu’il y ait une infraction, la publication aurait dû inclure une « attaque directe », un appel spécifique « à l’exclusion ou à la ségrégation » d’un groupe « à caractéristique protégée ». Puisque les commentaires de Zemmour n’attaquaient personne directement, qu’ils n’appelaient pas explicitement à exclure un quelconque groupe d’Europe et qu’ils ne comportaient aucune déclaration sur les personnes africaines assimilable à un stéréotype nuisible, à une insulte ou à un autre type d’attaque directe, ils n’enfreignaient pas la politique de Meta sur les discours haineux. En outre, la justification de la politique indique clairement que Meta autorise « les commentaires et les critiques sur les politiques d’immigration », bien que l’entreprise n’ait pas défini publiquement ce qu’elle considérait comme des appels à l’exclusion lors de discussions sur les politiques d’immigration.
Toutefois, le Conseil s’inquiète de constater que Meta ne considère pas les personnes africaines comme un groupe à caractéristiques protégées, compte tenu du fait que l’origine ethnique, nationale et la religion sont protégées à la fois au titre des politiques de Meta et des lois internationales sur les droits humains. Les personnes africaines sont mentionnées tout au long de la vidéo, où ce terme sert surtout à désigner les personnes africaines non blanches.
Le Conseil a également évalué la pertinence de la politique sur les organismes et les individus dangereux en l’espèce. Toutefois, la majorité de ses membres ont estimé que la publication n’enfreignait pas ladite politique parce qu’elle ne comportait pas suffisamment d’éléments pointant vers un réseau conspirationniste incitant à la violence. Meta définit ces réseaux comme des acteurs non étatiques qui partagent les mêmes objectifs avoués, qui avancent des théories sans fondement selon lesquelles des conspirations secrètes fomentées par des puissants sont la cause de problèmes sociaux et politiques, et qui sont directement liés à une série de préjudices hors ligne.
Une minorité du Conseil pense qu’en ce qui concerne les contenus qui propagent des théories du complot préjudiciables, l’approche de Meta n’est pas cohérente avec les objectifs poursuivis par les politiques qu’elle a élaborées pour prévenir la création d’un climat d’exclusion qui touche les minorités protégées, aussi bien en ligne qu’en dehors. En vertu de ces politiques, les contenus qui impliquent d’autres théories du complot sont modérés afin de protéger les groupes minoritaires menacés. Bien que les membres du Conseil estiment que les problématiques comme l’immigration doivent pouvoir être critiquées, c’est justement l’importance des discussions argumentées de manière objective sur le sujet qui rend dangereuse la propagation des théories du complot telles que la théorie du grand remplacement. Ce ne sont pas les contenus isolés, mais bien les effets combinés de ces contenus partagés à grande échelle et à grande vitesse qui représentent le plus gros défi lancé aux plateformes de réseaux sociaux. En conséquence, Meta doit reformuler ces politiques pour que ses services ne soient pas utilisés de manière détournée par celles et ceux qui promeuvent des théories du complot, sources des préjudices en ligne et hors ligne.
Meta a effectué des recherches sur une ligne de politique qui permettrait de lutter contre les théories du complot haineuses, mais en parvenant à la conclusion que cela finirait par entraîner la suppression d’un trop grand nombre de discours politiques. Le Conseil s’inquiète du peu d’informations fournies par Meta à ce sujet.
La décision du Conseil de surveillance
Le Conseil de surveillance a confirmé la décision de Meta de laisser la publication en ligne.
Le Conseil recommande à Meta de :
- Fournir plus de détails dans le texte de son standard de la communauté sur les discours haineux afin d’expliquer comment s’opère la distinction entre les discussions sur le thème de l’immigration et les discours dangereux qui ciblent les personnes sur la base de leur statut d’immigrées. Il s’agira notamment d’expliquer comment l’entreprise traite les contenus qui propagent des théories du complot haineuses de sorte que les utilisateurs et les utilisatrices puissent comprendre comment Meta protège les discours politiques sur l’immigration tout en luttant contre les risques de préjudices hors ligne que posent ces théories.
Pour en savoir plus
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