Le Conseil de surveillance annule la décision de Meta dans le cas « Confrontation subie par une femme iranienne dans la rue »
7 mars 2024
Le Conseil de surveillance a annulé la décision initiale de Meta de retirer une vidéo filmée dans une rue en Iran, dans laquelle on voit un homme s’en prendre à une femme, car elle ne porte pas de hijab. La publication n’a pas enfreint la politique relative à la violence et l’incitation, car elle contient une déclaration figurative, et non littérale, et ne constitue pas une menace crédible de violence. Elle a été partagée dans une période d’agitation, de répression et de violence grandissantes contre les manifestants. Or l’accès aux réseaux sociaux est essentiel en Iran, et Internet représente le nouveau terrain de lutte pour les droits des femmes. Instagram étant l’une des dernières plateformes encore autorisées dans le pays, son rôle dans le mouvement de contestation « Femme, Vie, Liberté » a été décisif, malgré les tentatives du régime d’instiller la peur et de museler les femmes sur Internet. Le Conseil conclut que le travail mené par Meta afin de faire respecter la liberté d’expression et de réunion dans un contexte de répression systématique exercée par l’État s’est avéré insuffisant et recommande à l’entreprise de modifier son Protocole de politique de crise.
À Propos du Cas
En juillet 2023, un utilisateur a publié une vidéo sur Instagram montrant un homme s’en prendre à une femme publiquement, car elle ne portait pas de hijab. Dans la vidéo, qui est en persan et sous-titrée en anglais, la femme lui répond qu’elle défend ses droits. Une légende qui accompagne la vidéo exprime son soutien à cette femme ainsi qu’aux femmes iraniennes qui se soulèvent contre le régime. Une partie de la légende, également critique du régime, inclut une phrase qui, selon Meta, peut se traduire par « tu vas finir par être mis en pièces ».
Le code pénal iranien punit d’une peine d’emprisonnement, d’une amende ou de coups de fouet les femmes qui apparaissaient en public sans un « hijab approprié ». En septembre 2023, le régime iranien a adopté une nouvelle loi relative au hijab et à la chasteté qui prévoit des peines de prison pouvant aller jusqu’à 10 ans pour les femmes qui persistent à braver les lois sur le hijab obligatoire. La légende de la publication indique clairement que la femme que l’on voit a déjà été arrêtée.
D’abord signalée par les systèmes automatisés de Meta en raison d’une potentielle infraction aux Règles de la communauté d’Instagram, la publication a fait l’objet d’une demande d’examen manuel. Bien que plusieurs membres des équipes d’examen aient évalué le contenu en vertu de la politique sur la violence et l’incitation de Meta, ils ne sont pas parvenus à la même conclusion, ce qui, associé à une erreur technique, a entraîné la conservation de la publication sur la plateforme. Un utilisateur a ensuite signalé la publication, la soumettant ainsi à un nouvel examen, conduit cette fois par l’équipe régionale de Meta qui dispose de l’expertise linguistique requise. Lors de cette nouvelle évaluation, il a été constaté que la publication enfreignait la politique sur la violence et l’incitation, ce qui lui a valu d’être supprimée d’Instagram. L’utilisateur à l’origine de la publication a ensuite déposé un appel auprès du Conseil. Meta a maintenu que sa décision de supprimer le contenu était légitime jusqu’à ce que le Conseil sélectionne ce cas. L’entreprise à alors annulé sa décision et restauré la publication.
Principales Observations
Le Conseil estime que la publication n’enfreint pas le Standard de la communauté sur la violence et l’incitation, car elle contient un discours figuratif, et non littéral, et qu’elle ne constitue pas une menace crédible de violence pouvant entraîner un préjudice hors ligne. Bien que Meta ait initialement supprimé la publication en partie à cause de la phrase « tu vas finir par être mis en pièces » qui représente à ses yeux une déclaration d’intention de commettre des actes de violence de haute gravité contre l’homme filmé, celle-ci ne saurait être interprétée de façon littérale. Compte tenu des manifestations massives en Iran, et de la légende et de la vidéo considérées dans leur globalité, la phrase est figurative et exprime de la colère et du désarroi face au régime. Les experts linguistiques que le Conseil a consultés ont proposé une traduction légèrement différente de la phrase (« nous allons bientôt vous mettre en pièces »), expliquant qu’elle reflète la colère, la déception et la rancœur contre le régime. Le régime n’aurait probablement pas été la cible de préjudices ; il est plus probable qu’il eût été l’instigateur de représailles à la suite à ladite publication.
Bien que la justification de la Politique de Meta suggère que les « propos » et le « contexte » peuvent être pris en compte lors de l’évaluation d’une « menace crédible », les conseils internes que Meta fournit à ses équipes de modération ne le permettent pas en pratique. Les équipes de modération doivent identifier des critères spécifiques (une menace et une cible) et, le cas échéant, supprimer le contenu en question. Le Conseil a précédemment émis des inquiétudes quant à cette incohérence dans le cas relatif au Slogan de protestation en Iran. Il avait alors été recommandé à Meta de fournir des conseils nuancés sur l’approche à adopter face au contexte, en demandant aux équipes de modération de ne plus supprimer par défaut les « propos rhétoriques » exprimant la dissidence. La possibilité d’une mise en application incorrecte concernant le discours figuratif demeure préoccupante, notamment dans des contextes comme celui de l’Iran. Par ailleurs, la précision de l’automatisation étant influencée par la qualité des données de formation fournies par l’humain, il est probable que la suppression erronée du discours figuratif soit amplifiée.
La présente publication a également été évaluée en vertu du Standard de la communauté sur les attaques coordonnées et la promotion d’actes criminels en raison d’une règle interdisant le « contenu qui met en danger les femmes non voilées en les montrant sans voile contre leur volonté ou sans leur autorisation ». Cette ligne de politique a ensuite été modifiée afin d’interdire : « L’identification [des femmes non voilées] en dévoilant l’identité d’une personne et en l’exposant à des risques de préjudices ». Sur cette question, le Conseil partage l’avis de Meta selon lequel le contenu n’« identifie » pas la femme dans la vidéo et le risque de préjudice était moindre, car son identité avait été largement dévoilée et qu’elle avait déjà été arrêtée. Concrètement, la publication a été partagée afin d’attirer l’attention sur son arrestation et offre la possibilité de faire pression sur les autorités en vue de la libérer.
Les politiques de crise de Meta, notamment son Protocole de politique de crise, ayant désigné l’Iran comme un pays à risque, l’entreprise peut appliquer des modifications de politique temporaires (des « leviers ») afin de résoudre une situation en particulier. Bien que le Conseil reconnaisse le travail entrepris par Meta sur l’Iran, il s’est révélé insuffisant pour garantir le respect de la liberté d’expression et de réunion des personnes dans des environnements confrontés à une répression systématique.
La Décision du Conseil de Surveillance
Le Conseil de surveillance a annulé la décision initiale de Meta de supprimer le contenu.
Le Conseil recommande à Meta de :
- Ajouter un levier au Protocole de politique de crise pour préciser que les déclarations figuratives (c’est-à-dire non littérales) qui ne sont pas destinées à inciter à la violence, ni susceptibles de le faire, n’enfreignent pas la ligne de politique sur la violence et l’incitation qui interdit les menaces de violence dans certains contexte. Cette disposition doit inclure l’élaboration de critères pour les équipes de modération à grande échelle sur la façon d’identifier de telles déclarations dans le contexte pertinent.
Pour en Savoir Plus
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