Le Conseil de surveillance annule la décision de Facebook : cas 2021-004-FB-UA
26 mai 2021
Le Conseil de surveillance a annulé la décision de Facebook de supprimer le commentaire d’un partisan du leader de l’opposition russe emprisonné Alexei Navalny qualifiant un autre utilisateur de « robot lâche ». Facebook a supprimé le commentaire en raison de l’utilisation du terme « lâche », considéré comme une déclaration à caractère négatif.
Le Conseil a estimé que si la suppression était conforme au Standard de la communauté sur le harcèlement et l’intimidation, le Standard actuel constituait une limitation inutile et disproportionnée de la liberté d’expression en vertu des normes internationales des droits de l’homme. Il n’était pas non plus en phase avec les valeurs de Facebook.
À propos du cas
Le 24 janvier, un utilisateur russe a publié un contenu composé de plusieurs images, d’une vidéo et d’un texte (publication d’origine) sur les manifestations de soutien au leader de l’opposition Alexeï Navalny qui ont eu lieu à Saint-Pétersbourg et dans toute la Russie le 23 janvier. Un autre utilisateur (le contre-manifestant) a répondu à la publication d’origine en écrivant qu’il ne savait pas ce qu’il s’était passé à Saint-Pétersbourg, mais que les manifestants moscovites étaient tous des écoliers « diminués » mentalement et avaient été « utilisés sans vergogne ».
D’autres utilisateurs ont alors attaqué le contre-manifestant dans des commentaires ultérieurs. Un utilisateur qui était présent à la manifestation (le manifestant) semble être le dernier à avoir répondu au contre-manifestant. Il a indiqué être une personne âgée et avoir participé à la manifestation de Saint-Pétersbourg. Le manifestant a terminé son commentaire en qualifiant le contre-manifestant de « robot lâche ».
Lequel a alors signalé le commentaire du manifestant à Facebook pour harcèlement et intimidation. Facebook a estimé que le terme « lâche » constituait une déclaration à caractère négatif à l’encontre d’un « adulte particulier » et a supprimé le contenu puisque la « cible » de l’attaque l’avait signalé. Le manifestant a introduit une réclamation contre la décision de Facebook. Facebook a conclu que le commentaire enfreignait sa politique en matière de harcèlement et d’intimidation, en vertu de laquelle une personne privée peut demander à Facebook de supprimer des publications contenant un commentaire négatif sur sa personnalité.
Principales observations
Ce cas met en lumière les tiraillements entre les politiques visant à protéger les personnes contre le harcèlement et l’intimidation, et le besoin de préserver la liberté d’expression. Ce point est particulièrement pertinent dans un contexte de protestation politique, dans un pays où il existe des plaintes crédibles quant à l’absence de mécanismes efficaces pour protéger les droits de l’homme.
Le Conseil a estimé que si la décision de Facebook visant à supprimer le contenu peut être considérée comme conforme à une application stricte des Standards de la communauté, ces derniers ne parviennent pas à tenir compte du contexte plus large et limitent de manière disproportionnée la liberté d’expression.
Le Standard de la communauté sur le harcèlement et l’intimidation indique que Facebook supprime les déclarations à caractère négatif sur des personnes privées lorsque la cible signale le contenu. Le Conseil ne remet pas en cause la conclusion de Facebook selon laquelle le contre-manifestant est une personne privée et le terme « lâche » constitue une déclaration à caractère négatif.
Le Standard de la communauté n’exigeait toutefois pas que Facebook prenne en considération le contexte politique, le caractère public ou le ton virulent de la conversation. Par conséquent, Facebook n’a pas tenu compte de l’intention du manifestant de réfuter les fausses allégations concernant les manifestations ou n’a pas tenté de contrebalancer la déclaration à caractère négatif par cette intention.
La décision de supprimer ce contenu n’a pas permis de trouver un équilibre entre les valeurs Facebook de « dignité » et de « sécurité » d’une part, et la valeur de « liberté d’expression » d’autre part. Le discours politique se trouve au cœur de la valeur de « liberté d’expression » et ne doit être limité que lorsqu’il existe des préoccupations claires en matière de « sécurité » et de « dignité ».
La « liberté d’expression » revêt également une importance particulière dans les pays qui ont coutume de la restreindre, comme la Russie. En l’espèce, le Conseil a estimé que Facebook avait connaissance du contexte plus large des manifestations pro-Navalny en Russie et qu’une vigilance accrue aurait dû conduire à une évaluation plus minutieuse du contenu.
Le Conseil a conclu que le Standard de la communauté Facebook sur le harcèlement et l’intimidation poursuivait l’objectif légitime de protéger les droits d’autrui. Toutefois, en l’espèce, le regroupement de concepts distincts de harcèlement et d’intimidation en un seul ensemble de règles non clairement définies a débouché sur la suppression inutile d’un discours légitime.
Décision du Conseil de surveillance
Le Conseil de surveillance annule la décision de Facebook visant à supprimer le contenu et demande à ce que la publication soit restaurée.
Dans un avis consultatif sur la politique, le Conseil recommande que, pour respecter les normes internationales des droits de l’homme, Facebook modifie et remanie son Standard de la communauté Facebook sur le harcèlement et l’intimidation afin de :
- Préciser la relation qui unit la justification de sa politique en matière de harcèlement et d’intimidation et la section « Ne pas » ainsi que les autres règles de limitation du contenu qui la suivent.
- Différencier le harcèlement de l’intimidation et donner des définitions qui distinguent ces deux actes. Le Standard de la communauté doit également expliquer clairement aux utilisateurs en quoi le harcèlement et l’intimidation diffèrent des discours uniquement offensants qui peuvent être protégés par la législation internationale des droits de l’homme.
- Définir clairement son approche des différentes catégories d’utilisateurs cibles et donner des exemples de chaque catégorie de cibles (p. ex. qui peut être considéré comme une personnalité publique). Présenter le Standard de la communauté sur le harcèlement et l’intimidation par catégories d’utilisateurs actuellement énumérées dans la politique.
- Inclure des exemples de contenus en infraction et autorisés dans le Standard de la communauté sur le harcèlement et l’intimidation en vue de clarifier les lignes d’action établies ainsi que la manière dont ces distinctions peuvent reposer sur le statut identitaire de la cible.
- Lors de l’examen d’un contenu composé d’une « déclaration à caractère négatif » à l’encontre d’un adulte particulier, Facebook doit modifier son Standard de la communauté pour exiger un examen du contexte sociopolitique du contenu. L’entreprise doit reconsidérer la mise en application de cette règle dans les débats politiques ou publics où la suppression du contenu étoufferait le débat.
- Chaque fois que Facebook supprime un contenu en raison d’une déclaration à caractère négatif qui ne représente qu’un seul mot ou une seule phrase dans une publication plus importante, elle doit en informer rapidement l’utilisateur afin que ce dernier ait la possibilité de publier à nouveau le contenu sans cette déclaration à caractère négatif.
Pour en savoir plus :
Pour lire l’intégralité de la décision sur le cas, cliquez ici.
Pour lire un résumé des commentaires publics relatifs à ce cas, cliquez ici.