Le Conseil de surveillance annule la décision de Facebook : Cas 2021-010-FB-UA
27 septembre 2021
Le Conseil de surveillance a annulé la décision de Facebook visant à supprimer une publication diffusant une vidéo de manifestation organisée en Colombie contre le président du pays, Ivan Duque. Dans cette vidéo, les manifestant·es emploient un terme considéré comme une injure en vertu du Standard de la communauté Facebook sur les discours incitant à la haine. Après avoir évalué la valeur d’intérêt public de ce contenu, le Conseil a estimé que Facebook aurait dû appliquer l’intérêt médiatique en l’espèce.
À propos du cas
En mai 2021, la page Facebook d’un organe de presse régional colombien a partagé la publication d’une autre page Facebook sans ajouter de légende. Le cas présent concerne cette publication partagée. La publication originale contient une courte vidéo d’une manifestation se déroulant en Colombie et encadrant des personnes qui marchent derrière une bannière sur laquelle on peut lire « SOS COLOMBIA ».
Les manifestants chantent en espagnol et s’adressent au président colombien au sujet de la réforme fiscale récemment proposée par le gouvernement du pays. Les chants scandés qualifient une fois le président de « hijo de puta » et lui intiment une fois « deja de hacerte el marica en la tv ». Facebook a traduit ces expressions par « fils de pute » et « arrête de faire le pédé à la télé ». La vidéo s’accompagne d’un texte rédigé en espagnol témoignant de l’admiration envers les manifestant·es. La publication partagée a été vue environ 19 000 fois. Moins de cinq utilisateurs ou utilisatrices l’ont signalée à Facebook.
Principales observations
Facebook a supprimé ce contenu, car il contenait le terme « marica » (écrit « m**ica » dans la suite du présent document). Le Standard de la communauté Facebook violé sur les discours incitant à la haine n’autorise pas les contenus qui « décrivent ou ciblent négativement des personnes par des injures » sur la base de caractéristiques protégées comme l’orientation sexuelle. Facebook a fait observer que bien que l’intérêt médiatique puisse en théorie s’appliquer à ce type de contenu, il ne peut être valable que si les modérateurs et modératrices de contenu qui l’examinent à l’origine décident de le soumettre à un examen supplémentaire de l’équipe de politique de contenu de Facebook. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Le Conseil constate également que Facebook ne publie pas ses critères d’escalade.
Le terme « m**ica » a été qualifié d’injure par Facebook, car il est intrinsèquement offensant et utilisé comme qualification insultante et discriminatoire principalement à l’encontre des hommes homosexuels. Bien que le Conseil reconnaisse qu’aucune exception actuellement reprise dans le Standard de la communauté Facebook sur les discours incitant à la haine ne permette l’utilisation d’injures pouvant contribuer à créer un environnement intimidant et excluant pour les personnes LGBT, il estime que l’entreprise aurait dû appliquer l’intérêt médiatique en l’espèce.
L’intérêt médiatique exige de Facebook qu’elle évalue l’intérêt public d’autoriser une expression donnée par rapport au risque de préjudice lié à l’autorisation d’un contenu en infraction. Dans ce cadre, Facebook prend en compte la nature du discours ainsi que le contexte spécifique au pays, comme son organisation politique et la liberté de la presse.
En évaluant la valeur d’intérêt public de ce contenu, le Conseil note qu’il a été publié durant de vastes manifestations organisées contre le gouvernement colombien à un moment important de l’histoire politique du pays. Bien que les manifestant·es semblent utiliser l’injure délibérément, elle n’est employée qu’une seule fois parmi de nombreuses autres expressions et le chant se concentre essentiellement sur des critiques formulées à l’encontre du président du pays.
Le Conseil constate par ailleurs que, dans un environnement où les possibilités d’expression sont limitées, les médias sociaux ont offert une plate-forme permettant à toutes et à tous, en ce compris aux journalistes, de partager des informations sur les manifestations. L’application de l’intérêt médiatique en l’espèce signifie que seuls les contenus nuisibles exceptionnels et limités sont autorisés.
La décision du Conseil de surveillance
Le Conseil de surveillance annule la décision de Facebook visant à supprimer le contenu et demande que la publication soit restaurée.
Dans un avis consultatif sur la politique, le Conseil recommande à Facebook de :
- Publier des exemples illustratifs de la liste des injures considérées comme en infraction en vertu de son Standard de la communauté sur les discours incitant à la haine, en ce compris des cas limites comprenant des termes susceptibles d’être nuisibles dans certains contextes, mais pas dans d’autres.
- Établir un lien entre l’explication succincte de l’intérêt médiatique reprise dans l’introduction des Standards de la communauté et l’explication plus détaillée de l’application de cette politique dans l’Espace modération de Facebook. L’entreprise devrait compléter cette explication au moyen d’exemples illustratifs tirés de divers contextes, en ce compris le signalement de manifestations à grande échelle.
- Élaborer et publier des critères clairs destinés aux examinateurs et examinatrices de contenu afin qu’ils puissent soumettre à un examen supplémentaire les contenus d’intérêt public susceptibles d’enfreindre les Standards de la communauté, mais qui pourraient relever de l’intérêt médiatique. Ces critères devraient couvrir les contenus relatifs aux grandes manifestations sur des questions politiques.
- Notifier tous les utilisateurs et utilisatrices qui ont signalé un contenu jugé en infraction, mais laissé sur la plate-forme pour des raisons d’intérêt public, car l’intérêt médiatique a été appliqué à la publication.
Pour en savoir plus :
Pour lire l’intégralité de la décision sur le cas, cliquez ici.
Pour lire un résumé des commentaires publics relatifs à ce cas, cliquez sur la pièce jointe ci-dessous.