Renversé
Différend politique à l’approche des élections turques
Le Conseil de surveillance a annulé les décisions initiales de Meta de supprimer les publications de trois médias turcs, qui contenaient toutes une vidéo similaire d’une personnalité politique affrontant une autre en public.
Résumé du cas
Le Conseil de surveillance a annulé les décisions initiales de Meta de supprimer les publications de trois médias turcs, qui contenaient toutes une vidéo similaire d’une personnalité politique affrontant une autre en public, en utilisant le terme « İngiliz uşağı », qui se traduit par « serviteur des Britanniques ». Le Conseil estime que le terme n’est pas un discours haineux au sens des politiques de Meta. En outre, en ne qualifiant pas le contenu de « reportage » autorisé ou en n’appliquant pas la tolérance d’intérêt médiatique publique, Meta a empêché les organes de presse de rendre compte librement des questions d’intérêt public. Le Conseil recommande à Meta de rendre publique une exception pour les reportages autorisés sur les insultes.
À propos des cas
Pour ces décisions, le Conseil prend en considération trois publications, deux sur Facebook, une sur Instagram, provenant de trois médias turcs différents, tous indépendants. Elles contiennent une vidéo similaire mettant en scène un ancien membre du Parlement (MP) du parti au pouvoir confrontant un membre du principal parti d’opposition à la suite des tremblements de terre de février 2023 en Turquie. À l’approche des élections turques, on s’attendait à ce que les tremblements de terre aient un impact considérable sur les habitudes de vote.
La vidéo montre le maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, une figure clé de l’opposition, en visite dans l’une des villes les plus touchées lorsqu’il est confronté à un ancien MP, qui l’accuse de « showing off » (frimer), le traite de « servant of the British » (serviteur des Britanniques) et lui demande de retourner dans « sa » ville. Le public et les spécialistes confirment que l’expression « İngiliz uşağı » est comprise par les turcophones comme signifiant « une personne qui agit pour les intérêts et les bénéfices » de la Grande-Bretagne ou de l’Occident en général.
Meta a supprimé les trois publications pour violation de sa politique de lutte contre le discours haineux, laquelle interdit les insultes. Bien que plusieurs des systèmes de prévention des erreurs de Meta aient été activés, notamment la vérification croisée, qui a conduit à ce que les publications fassent l’objet de plusieurs séries d’examens manuels, le contenu n’a pas été restauré pour autant.
Au total, les publications de ces trois comptes ont été vues plus de 1 100 000 fois avant d’être supprimées.
Les trois utilisateurs ont été informés qu’ils avaient enfreint le Standard de la communauté relatif au discours haineux, mais ils n’ont pas été informés de la règle spécifique qu’ils avaient enfreinte. En outre, les comptes de deux des médias ont été limités, ce qui a empêché l’un d’entre eux de créer de nouveaux contenus pendant 24 heures et l’autre de diffuser des vidéos en direct pendant trois jours.
Après que le Conseil a identifié les cas, Meta a décidé que ses décisions initiales étaient erronées car le terme « İngiliz uşağı » n’aurait pas dû figurer sur ses listes d’insultes, et a restauré le contenu. Séparément, Meta avait mené un audit annuel de ses listes d’insultes pour la Turquie avant les élections, ce qui a conduit à la suppression du terme « İngiliz uşağı » en avril 2023.
Principales observations
Le rôle des médias dans la diffusion d’informations dans l’écosystème numérique est essentiel. Le Conseil conclut que la suppression des trois publications constitue une restriction inutile et disproportionnée des droits des personnes travaillant dans les médias turcs et de l’accès à l’information de leur audience. En outre, les mesures prises par Meta dans ces cas ont empêché deux des trois organisations de partager librement leurs rapports pendant la durée des limites imposées à leurs comptes. Cela a eu un impact réel car les tremblements de terre et la période précédant les élections ont rendu l’accès aux informations locales indépendantes particulièrement important.
Le Conseil estime que le terme « İngiliz uşağı » n’est pas un discours haineux selon les politiques de Meta car il n’attaque pas les personnes sur la base d’une « caractéristique protégée ». La confrontation publique dans les vidéos implique des personnalités publiques de partis politiques concurrents. Étant donné que le terme utilisé a historiquement fonctionné comme critique politique en Turquie, il s’agit d’un discours politique sur un sujet d’intérêt public important dans le contexte des élections.
Même si Meta avait correctement qualifié le terme d’insulte, le contenu aurait néanmoins dû être autorisé en raison de sa valeur d’intérêt public. Le Conseil est préoccupé par le fait que les trois publications n’ont pas été soumises à une évaluation par l’équipe en charge de la politique de base de Meta dans le cadre de la tolérance d’intérêt médiatique.
Les politiques de Meta permettent également de partager des discours haineux et des insultes pour sensibiliser le public, à condition que l’intention de l’utilisateur soit claire. En réponse à ces cas, Meta a expliqué que pour « qualifier un reportage de sensibilisation, il ne suffit pas de réitérer que quelqu’un d’autre a utilisé un discours haineux ou une insulte. Nous [Meta] avons plutôt besoin d’un contexte spécifique supplémentaire ». Aucun des médias dans ces cas n’aurait été qualifié, car le contenu a été partagé avec une légende neutre, ce qui n’aurait pas été considéré comme un contexte suffisant. L’utilisation du terme par la personnalité politique dans la vidéo n’était pas le sujet principal de l’histoire racontée, de sorte qu’une légende visant à l’expliquer ou à le condamner n’aurait pas eu de sens. Le principal sujet d’actualité était plutôt le désaccord entre les personnalités politiques dans le contexte de la réponse au tremblement de terre.
Enfin, le Conseil estime que Meta devrait faire savoir publiquement que les reportages sur les discours haineux sont autorisés, idéalement dans le cadre d’une exception autonome qui distingue le « reportage » journalistique de la « sensibilisation ». Les conseils internes de Meta semblent autoriser des exceptions plus larges que celles communiquées publiquement aux utilisateurs à l’heure actuelle. Ces informations seraient particulièrement importantes pour aider les médias à rendre compte des incidents au cours desquels une insulte a été proférée par des tiers dans une affaire d’intérêt public, y compris lorsqu’il ne s’agit pas du point principal de l’article. La formulation de ces informations doit tenir compte du fait que les médias et les autres acteurs du journalisme n’ont pas toujours l’intention de « sensibiliser » afin de rendre compte de l’actualité de manière impartiale.
Décision du Conseil de surveillance
Le Conseil de surveillance annule les décisions initiales de Meta de supprimer trois publications.
Le Conseil recommande à Meta ce qui suit :
- Revoir le Standard de la communauté relatif au discours haineux afin de protéger explicitement les reportages journalistiques sur les insultes lorsque ces reportages, en particulier dans le contexte des élections, ne créent pas une atmosphère d’exclusion et/ou d’intimidation. Cette exception devrait être rendue publique, être distincte de l’exception « sensibilisation » et indiquer clairement aux utilisateurs, en particulier dans les médias, comment ces contenus devraient être contextualisés. Les modérateurs devraient également recevoir une formation appropriée, en particulier en dehors des langues anglaises, afin de garantir le respect du journalisme.
- Veiller à ce que le Standard de la communauté relatif au discours haineux contienne des explications plus claires de chaque exception, avec des exemples illustratifs, afin de garantir une plus grande clarté sur les cas où des insultes peuvent être utilisées.
- Accélérer les audits de ses listes d’insultes dans les pays où des élections sont prévues d’ici la fin de l’année 2023 et le début de l’année 2024, dans le but d’identifier et de supprimer les termes ajoutés par erreur à ces listes.
*Les résumés de cas fournissent une présentation du cas et n’ont pas valeur de précédent.
Décision complète sur le cas
1. Résumé de la décision
Le Conseil annule les décisions initiales de Meta de supprimer les publications de trois médias turcs, à savoir, BirGün Gazetesi, Bolu Gündem et Komedya Haber, lesquelles contenaient toutes une vidéo similaire. Dans ces vidéos, Mme Nursel Reyhanlıoğlu, ancienne Membre du Parlement du Parti de la justice et du développement (AKP) du président Erdoğan, qualifie le maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, membre du plus grand parti d’opposition de Turquie, de « İngiliz uşağı », c’est-à-dire de « serviteur des Britanniques ». Dans les trois cas, Meta a supprimé la vidéo pour infraction de son Standard de la communauté relatif au discours haineux, qui interdit les « insultes utilisées pour attaquer des personnes sur la base de leurs caractéristiques protégées ». Après que le Conseil a identifié ces cas, Meta a annulé chacune de ses décisions de supprimer les publications, décidant que le terme « İngiliz uşağı » ne devait pas figurer sur sa liste interne d’insultes.
2. Description du cas et contexte
Le 6 février 2023, une série de tremblements de terre de forte magnitude a frappé le sud de la Turquie, près de la frontière nord de la Syrie. La catastrophe a fait plus de 50 000 morts uniquement en Turquie, plus de 100 000 blessés et provoqué le déplacement de trois millions de personnes dans les provinces les plus touchées par les secousses. Le 8 février 2023, le maire de la municipalité d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, membre du principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), s’est rendu à Kahramanmaraş, l’une des villes touchées par la catastrophe. Au cours de sa visite, un ancien Membre du Parlement du Parti de la justice et du développement (AKP), Nursel Reyhanlıoğlu, l’a confronté. Lors de la confrontation enregistrée, l’ancien Membre du Parlement Reyhanlıoğlu a accusé le maire İmamoğlu de « showing off » (frimer) avec sa visite, le traitant de « serviteur des Britanniques » (en turc : İngiliz uşağı), et qu’il devrait « partir » et retourner dans « son » Istanbul.
Les commentaires publics et les spécialistes que le Conseil a consultés ont confirmé que l’expression « İngiliz uşağı » est comprise par les turcophones comme signifiant « une personne qui agit pour les intérêts et les bénéfices de la nation britannique ou des représentants du gouvernement ou de l’Occident en général ». Les spécialistes externes ont souligné que le fait d’insinuer qu’une personne trahit son propre pays en servant les intérêts de puissances étrangères peut être une accusation grave et préjudiciable, car elle remet en question la loyauté et l’engagement d’une personne envers son propre pays, en particulier dans un contexte politique.
Les trois médias en question n’ont aucun lien avec le gouvernement turc et sont indépendants. Les spécialistes externes ont noté que BirGün Gazetesi a eu des relations particulièrement conflictuelles avec le gouvernement. L’un de ses chroniqueurs, le journaliste turco-arménien Hrant Dink, a été assassiné en 2007 et le journal a également fait l’objet de poursuites pénales à plusieurs reprises.
Immédiatement après les tremblements de terre de février, l’attention s’est portée sur les élections présidentielles et parlementaires qui devaient avoir lieu en mai. Dans une publication de blog datant d’avril 2023, Meta a annoncé qu’elle était prête à lutter contre la « désinformation » et les « fausses informations » lors des prochaines élections turques. Les spécialistes consultés par le Conseil ont décrit comment les observateurs électoraux s’attendaient à ce que les tremblements de terre aient un impact sur le déroulement du scrutin. L’un des principaux points de critique portait sur la législation du gouvernement visant à amnistier les entreprises de construction pour avoir érigé des bâtiments qui ne respectaient pas les codes de sécurité, une loi que Reyhanlıoğlu a soutenue en tant que membre du Parlement en 2018. La critique publique de l’agence de gestion des catastrophes Afet ve Acil Durum Yönetimi Başkanlığı (AFAD) pour les échecs de sa réponse au tremblement de terre est devenue un enjeu électoral.
Dans le premier cas que le Conseil a accepté en appel, le site d’information turc Bolu Gündem a publié la vidéo de la confrontation sur sa page Facebook. Les utilisateurs ont signalé la publication, qui a été ajoutée à la file d’attente pour être examinée par un modérateur. Au moment de l’examen, Meta avait activé un système de prévention des erreurs connu sous le nom de Dynamic Multi Review, qui permet aux tâches d’être évaluées par plusieurs examinateurs afin d’obtenir un résultat majoritaire. Deux examinateurs sur trois ont estimé que le contenu était contraire à la politique de Meta relative au discours haineux, et un examinateur a estimé qu’il ne l’était pas. En raison du protocole d’Examen secondaire de réponse rapide, qui est une forme de vérifications croisées, le contenu a été soumis à un examen secondaire plutôt que d’être immédiatement supprimé (les différents systèmes de prévention des erreurs utilisés dans ces cas sont expliqués plus en détail à la section 8.1). Au cours de cet examen secondaire, deux examinateurs ont estimé que le contenu était contraire à la politique relative au discours haineux et il a été supprimé. Meta a appliqué une pénalité et une restriction des fonctionnalités de 24 heures au compte du créateur de contenu (et non à la page), ce qui a empêché l’utilisateur de créer de nouveaux contenus sur la plateforme (y compris les pages qu’il administre) et de créer ou de rejoindre des salons Facebook Messenger. Avant d’être supprimée, la publication a été vue plus d’un million de fois.
Dans le second cas, le média turc BirGün Gazetesi a diffusé en direct sur sa page Facebook une vidéo plus longue reprenant la même confrontation que les deux autres vidéos plus courtes. Après la fin du stream en direct, le contenu est devenu une publication permanente sur la page. Différente des deux autres vidéos, cette vidéo quant à elle comprenait d’autres images du maire İmamoğlu et du leader du CHP et candidat à la présidence Kemal Kılıçdaroğlu s’adressant à deux membres du public. Au cours de la conversation qui a suivi la confrontation, les deux membres du public ont demandé davantage d’aide pour secourir les personnes piégées sous les décombres et ont exprimé leur frustration quant à la réaction du gouvernement face à la situation d’urgence. Un utilisateur a signalé la publication de Facebook pour infraction aux politiques de Meta. Au moment de l’examen, Meta avait activé la fonctionnalité Dynamic Multi-Review (voir section 8.1), et deux examinateurs sur trois ont estimé que le contenu était contraire à la politique relative au discours haineux, tandis qu’un examinateur a estimé qu’il ne l’était pas. Le contenu a été soumis à un examen supplémentaire en raison du classificateur de l’examen général secondaire, qui est un autre protocole de vérification croisée fonctionnant parallèlement à l’Examen secondaire de réponse rapide. L’algorithme de l’examen général secondaire classe les contenus devant faire l’objet d’un examen supplémentaire sur la base de critères tels que la sensibilité du sujet, la gravité de l’application, la probabilité de faux positifs, la couverture prévue et la sensibilité de l’entité (voir l’explication plus détaillée de ce protocole à la section 8.1 et l’avis consultatif de politique de vérification croisée, paragraphe 42). Un examinateur de l’équipe du marché régional de Meta a déterminé que la publication enfreignait la politique relative au discours haineux et elle a été supprimée. Meta a appliqué une pénalité standard au profil du créateur de contenu et à la page Facebook, mais n’a pas appliqué de restrictions aux fonctionnalités (telles que la restriction de la capacité à publier) car le nombre de pénalités n’atteignait pas le seuil nécessaire. Avant d’être supprimée, la publication a été vue plus de 60 000 fois.
Dans le troisième cas, un média numérique appelé Komedya Haber a publié la vidéo sur Instagram. Un classificateur conçu pour identifier les « contenus les plus viraux et potentiellement en infraction » a détecté le contenu comme étant susceptible d’enfreindre la politique relative au discours haineux, et l’a soumis à l’examen d’un modérateur. L’examinateur a estimé que le contenu enfreignait la politique relative au discours haineux. Plus tard, un utilisateur a signalé le contenu pour infraction aux politiques de Meta. Au moment de l’examen, Meta avait activé la fonctionnalité Dynamic Multi-Review, et deux examinateurs ont estimé que le contenu était contraire à la politique relative au discours haineux. Le classificateur de l’examen général secondaire a donné la priorité au contenu pour un examen supplémentaire, de sorte que la publication a été envoyée à un autre modérateur. D’après les informations fournies par Meta dans l’avis consultatif sur la politique de vérification croisée, l’examen général secondaire est effectué par un employé ou un sous-traitant de l’équipe de marché régionale de Meta ( avis consultatif en matière de politique de vérification croisée, page 21). Par le biais de l’examen général secondaire, un examinateur a évalué le contenu comme étant en infraction avec la politique relative au discours haineux et il a été supprimé. Meta a appliqué une pénalité standard, ce qui a entraîné une restriction de fonctionnalités de trois jours empêchant le compte Instagram d’utiliser la vidéo en direct. Avant d’être supprimée, la publication a été vue plus de 40 000 fois.
Après la suppression de chaque publication, les trois utilisateurs ont été informés qu’ils avaient enfreint le Standard de la communauté de Meta en matière de discours haineux, mais pas la règle spécifique de cette politique qu’elles avaient enfreinte. Les notifications que les deux utilisateurs de Facebook ont reçues indiquent que le discours haineux comprend « les attaques contre des personnes en raison de leur origine ethnique, de leur identité ethnique, de leur religion, de leur caste, de leurs capacités physiques ou mentales, de leur genre ou de leur orientation sexuelle » et énumèrent plusieurs exemples, mais ne mentionnent pas les insultes. L’utilisateur d’Instagram a reçu une notification plus courte, indiquant que le contenu avait été supprimé « parce qu’il va à l’encontre de nos Règles de la communauté [Instagram], relatives aux discours haineux ou symboles ».
Bien que Meta ait appliqué une limite de fonctionnalité de 24 heures au créateur de contenu qui a publié le contenu sur la page Facebook de Bolu Gündem, la notification à l’utilisateur ne l’a pas averti de cette restriction. Sur Instagram, Komedya Haber a reçu une notification indiquant que son compte Instagram faisait l’objet d’une restriction temporaire concernant la création de vidéos en direct. Les trois utilisateurs ont alors fait appel de la décision de Meta de supprimer le contenu, et les examinateurs de Meta ont à nouveau conclu que chaque publication enfreignait la politique relative au discours haineux. Chaque utilisateur a été informé que le contenu avait été examiné une fois de plus, mais qu’il enfreignait les Standards de la communauté Facebook ou les Règles de la communauté Instagram. Les messages d’appel ne leur indiquaient pas quelle politique avait été enfreinte.
À la suite de la sélection de ces trois recours par le Conseil, Meta a constaté que ses trois décisions initiales étaient erronées et a restauré le contenu de chaque compte le 28 mars 2023, en annulant les pénalités applicables. À ce stade, les limites de fonctionnalités appliquées à deux des cas avaient déjà expiré. Meta a expliqué au Conseil que la phrase n’était pas utilisée comme une insulte et que, par conséquent, les trois publications n’enfreignaient pas la politique relative au discours haineux. Entre janvier et avril 2023, Meta a conduit un audit annuel de sa liste d’insultes pour le marché turc, ce qui a finalement conduit à la suppression de l’expression « İngiliz uşağı » de la liste. Parallèlement à la sélection de ces trois cas par le Conseil, Meta a examiné ses décisions initiales, conformément à la procédure habituelle. Dans le cadre de cet examen, l’entreprise a également déterminé que « İngiliz uşağı » n’était pas une insulte :
3. Champ d’application et autorité du Conseil de surveillance
Le Conseil jouit de l’autorité nécessaire pour examiner la décision de Meta à la suite d’un appel interjeté par la personne dont le contenu a été supprimé (article 2, section 1 de la Charte ; article 3, section 1 des Statuts). Le Conseil peut confirmer ou annuler la décision de Meta (article 3, section 5 de la Charte), et ce, de manière contraignante pour l’entreprise (article 4 de la Charte). Meta doit également évaluer la possibilité d’appliquer la décision à un contenu identique dans un contexte parallèle (article 4 de la Charte). Les décisions du Conseil peuvent inclure des recommandations non contraignantes auxquelles Meta doit répondre (article 3, section 4 de la Charte ; article 4 de la Charte). Le Conseil surveille la mise en application des recommandations que Meta s’est engagée à suivre et peut assurer le suivi de toute recommandation antérieure dans ses décisions sur les cas.
Lorsque le Conseil sélectionne des cas comme ceux-ci, dans lesquels Meta reconnaît par la suite avoir commis une erreur, il réexamine les décisions initiales afin de mieux comprendre le processus de modération du contenu et de formuler des recommandations visant à réduire les erreurs et à accroître l’équité pour les utilisateurs de Facebook et d’Instagram. Le Conseil note en outre que l’annulation par Meta de ses décisions initiales dans chacun de ces cas était en partie fondée sur une modification de ses conseils internes après la publication de chaque contenu, en supprimant l’expression « İngiliz uşağı » de sa liste d’insultes non publiques en avril 2023. Le Conseil comprend qu’à l’époque des décisions initiales de l’entreprise, les examinateurs de Meta ont appliqué la politique et les conseils internes en vigueur à ce moment-là.
Lorsque le Conseil identifie des cas dans lesquels les appels soulèvent des questions similaires ou se recoupent, notamment en ce qui concerne les politiques de contenu ou leur application, ou les responsabilités de Meta en matière de droits de l’homme, ces appels peuvent être regroupés et confiés à un jury qui les examinera en même temps. Une décision contraignante sera prise à l’égard de chaque publication.
4. Sources d’autorité et conseils
Les standards suivants et les précédents ont éclairé l’analyse du Conseil dans ce cas :
I. Décisions du Conseil de surveillance :
Les décisions antérieures les plus pertinentes du Conseil de surveillance comprennent les cas suivants :
- Cas relatif auxArméniens d’Azerbaïdjan (2020-003-FB-UA)
- Cas relatif à la Représentation de Zwarte Piet(2021-002-FB-UA)
- Cas relatif aux Manifestations en Colombie (2021-010-FB-UA)
- Cas relatif aux Insultes en Afrique du Sud (2021-011-FB-UA)
- Cas relatif à la Réappropriation de mots arabes (2022-003-IG-UA)
- Cas relatif à la Mention des talibans dans les informations d’actualité (2022-005-FB-UA)
- Cas relatif au Slogan de protestation en Iran (2022-013-FB-UA)
II. Règles de Meta relatives au contenu :
Les Règles de la communauté Instagram stipulent que tout contenu porteur d’un discours haineux sera supprimé. Sous le titre « Respecter les autres membres de la communauté Instagram », les règles précisent qu’il n’est « jamais acceptable d’encourager la violence ou d’attaquer quiconque en raison de sa couleur de peau, de son origine ethnique, de sa nationalité, de son sexe, de son genre, de son identité de genre, de son orientation sexuelle, de son appartenance religieuse, de handicaps ou d’états pathologiques. Les Règles de la communauté Instagram ne mentionnent aucune règle spécifique concernant les insultes, mais les mots « discours haineux » renvoient au Standard de la communauté relatif au discours haineux.
Dans la justification de sa politique relative au discours haineux, Meta interdit « l’utilisation d’insultes qui sont utilisées pour attaquer des personnes sur la base de leurs caractéristiques protégées ». Les caractéristiques protégées dans la politique de Meta comprennent, par exemple, la nationalité, l’appartenance religieuse, la couleur de peau et l’origine ethnique. Lorsque les trois publications ont été créées, supprimées et ont fait l’objet d’un appel auprès du Conseil, et lorsque Meta a annulé ses décisions initiales dans les trois cas, les « insultes » étaient définies comme des « mots qui sont intrinsèquement offensants et utilisés comme des étiquettes insultantes pour les caractéristiques susmentionnées ». À la suite d’une mise à jour de sa politique le 25 mai 2023, Meta définit désormais les « insultes » comme des « mots qui créent intrinsèquement une atmosphère d’exclusion et d’intimidation à l’encontre de personnes sur la base d’une caractéristique protégée, souvent car ces mots sont liés à une discrimination historique, une oppression et une violence » et ajoute « qu’ils le font même lorsqu’ils visent quelqu’un qui n’est pas membre du groupe [caractéristique protégée] que l’insulte vise intrinsèquement ».
La justification de la politique décrit également plusieurs exceptions qui autorisent l’utilisation d’une insulte « pour la condamner ou sensibiliser l’opinion publique » ou pour l’utiliser « de manière autoréférentielle ou pour responsabiliser ». Toutefois, Meta peut toujours supprimer le contenu « si l’intention n’est pas claire ». Les révisions apportées le 25 mai à la politique relative au discours haineux n’ont pas modifié cette formulation.
Outre les exceptions énoncées dans la politique relative au discours haineux, la tolérance d’intérêt médiatique autorise « les contenus susceptibles d’enfreindre [les] Standards de la communauté Facebook ou les Règles de la communauté Instagram, s’ils sont d’intérêt médiatique et que leur visibilité est dans l’intérêt du public ». Meta n’accorde des tolérances d’intérêt médiatique pour la publication d’informations « qu’après avoir procédé à un examen approfondi sur l’impact positif pour l’intérêt public et le risque de préjudice » et s’appuie à cet effet sur « les principes universels des droits de l’homme, tels que mentionnés dans [sa] Politique d’entreprise en matière de droits de l’homme, pour l’aider à prendre ces décisions ». Meta déclare qu’elle évalue si le contenu présente « une menace imminente pour la santé ou la sécurité publique, ou s’il exprime une opinion actuellement débattue dans le cadre d’un processus politique ». Cette évaluation tient compte de la situation du pays, par exemple si des élections ou un conflit est en cours, si la presse est libre et si les produits de Meta sont interdits. Meta déclare « qu’il n’y a pas de présomption selon laquelle le contenu est intrinsèquement dans l’intérêt public uniquement sur la base de l’identité de l’orateur, par exemple son identité en tant que personnalité politique. »
L’analyse du Conseil s’est appuyée sur l’engagement de Meta en faveur de la « Liberté d’expression », que l’entreprise qualifie de « primordial », et sur ses valeurs de « sécurité », « Vie privée » et « Dignité ».
III. Responsabilités de Meta en matière de droits humains
Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies (PDNU), soutenus par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en 2011, établissent un cadre de travail volontaire pour les responsabilités en matière de droits de l’homme des entreprises privées. En 2021, Meta a annoncé l’entrée en vigueur de sa Politique d’entreprise relative aux droits de l’homme, dans laquelle elle a réaffirmé son engagement à respecter les droits de l’homme conformément aux PDNU.
L’analyse du Conseil sur les responsabilités de Meta en matière de droits de l’homme en l’espèce s’est appuyée sur les standards internationaux suivants :
- Les droits à la liberté d’opinion et d’expression : articles 19 et 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), l’observation générale n° 34 du Comité des droits de l’homme, 2011 ; les rapports du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’opinion et d’expression : A/HRC/38/35 (2018), A/74/486 (2019) ; la Déclaration conjointe sur la liberté des médias et la démocratie, les Mandats de l’ONU et mandats régionaux sur la liberté d’expression (2023).
- Les droits de participation aux affaires publiques et de vote : article 25 du PIDCP.
- Les droits à l’égalité et à la non-discrimination : articles 2 et 26 du PIDCP.
- Le droit à la protection de la loi contre les atteintes illégales à l’honneur et à la réputation : l’article 17 du PIDCP.
5. Soumissions de l’utilisateur
Les trois médias ont séparément fait appel des décisions de suppression de Meta auprès du Conseil. Dans son appel auprès du Conseil, Bolu Gündem a souligné qu’il avait payé une agence de presse pour la vidéo et que d’autres organes de presse avaient partagé la vidéo sur Facebook sans qu’elle soit supprimée. BirGün Gazetesi a souligné le droit du public à recevoir des informations, tandis que l’appel de Komedya Haber a contesté le fait que le contenu comprenait un discours haineux.
6. Soumissions de Meta
Meta a supprimé les trois publications en vertu de son Standard de la communauté relatif au discours haineux, car l’expression « İngiliz uşağı » était, entre le moment où les vidéos ont été publiées et celui où elles ont été restaurées, une insulte désignée sur le marché turc de Meta, traduite par « serviteur des Britanniques ».
Lorsque les trois publications ont été supprimées, le Standard de la communauté définissait les insultes conformes à la politique de visibilité publique comme « des mots qui sont intrinsèquement offensants et utilisés comme des étiquettes insultantes pour [...] des caractéristiques protégées », y compris la nationalité. Meta a fait savoir au Conseil qu’à la suite d’un Forum sur la politique interne, elle a décidé de s’éloigner du concept de « intrinsèquement offensant » comme base de description des insultes pour adopter « une définition fondée sur la recherche et axée sur le lien entre le mot et la discrimination historique, l’oppression et la violence à l’encontre des groupes porteurs de caractéristiques protégées ». Meta a indiqué au Conseil que cette modification de définition n’avait pas d’incidence sur les conseils opérationnels donnés aux examinateurs sur la manière d’appliquer la politique. La seule modification qui aurait eu un impact sur l’issue de ces cas est la suppression de « İngiliz uşağı » de la liste d’insultes.
Meta a expliqué que ses politiques « permettent aux utilisateurs de partager des discours haineux et des insultes pour condamner, sensibiliser, et ce, de manière autoréférentielle ou pour responsabiliser. Toutefois, l’intention de l’utilisateur doit être claire. Pour qu’un reportage soit considéré comme une action de sensibilisation, il ne suffit pas de répéter que quelqu’un d’autre a utilisé un discours haineux ou une insulte. Nous [Meta] avons plutôt besoin d’un contexte spécifique supplémentaire ». En réponse aux questions du Conseil, Meta a précisé qu’elle n’autorisait les insultes dans un contexte de « reportage » que si elles étaient partagées pour sensibiliser à l’utilisation de l’insulte avec un « contexte supplémentaire spécifique » et « qu’une légende neutre n’est pas suffisante ». Meta a expliqué qu’elle n’avait pas appliqué cette exception à ces publications car les vidéos ne comportaient pas de contexte clair de sensibilisation ou de condamnation.
Dans sa réponse aux questions du Conseil, Meta a déclaré qu’il n’était pas nécessaire d’appliquer la tolérance d’intérêt médiatique dans ces cas, car le contenu ne contenait pas d’insulte constituant une infraction. Cependant, lors des premières suppressions, Meta considérait cette expression comme une insulte. Dans ce cas de figure, Meta a ajouté qu’elle aurait estimé que la valeur d’intérêt public du contenu dans le contexte d’une élection l’emportait sur tout risque de préjudice, de sorte qu’elle aurait également restauré le contenu. Pour l’évaluation de l’intérêt médiatique du Conseil, consultez la section 8.1.
En novembre 2022, le personnel de Meta a identifié la nécessité de mettre à jour la liste d’insultes turques dans le cadre des préparatifs de l’entreprise pour les élections présidentielles et législatives de mai 2023 en Turquie. L’audit annuel de la liste d’insultes du marché du pays a commencé en janvier 2023 et l’équipe régionale de l’entreprise a soumis ses propositions de modifications à la mi-mars 2023. Dans sa vérification, Meta a décidé que l’expression « İngiliz uşağı » ne constituait pas une insulte et l’a supprimée, à compter du 12 avril 2023, deux semaines après que le contenu a été restauré dans les trois cas. Parallèlement, Meta a supprimé de sa liste d’insultes d’autres termes combinant l’utilisation de « uşak » (serviteur) avec des nationalités spécifiques. En réponse aux questions du Conseil, Meta a déclaré qu’elle ne disposait pas de documents indiquant quand et pourquoi l’expression avait été désignée à l’origine comme une insulte, mais qu’elle reconnaissait aujourd’hui qu’elle n’attaquait pas les personnes sur la base d’une caractéristique protégée. L’entreprise a également ajouté que « İngiliz uşağı » figurait toujours sur la liste d’insultes pour le marché turc au moment où les trois publications du cas présent ont été examinées et que les modérateurs ont donc agi conformément aux conseils internes en supprimant le contenu.
Meta vérifie ses listes d’insultes dans le cadre d’un processus mené par des équipes de marché régionales « dans le but de supprimer toute insulte qui ne devrait pas figurer sur les listes » en janvier de chaque année. Meta a utilisé un nouveau processus d’audit qui a été testé lors de l’audit annuel 2023 de la liste d’insultes du marché turc. Le nouveau processus comporte deux étapes : premièrement, une analyse qualitative pour déterminer l’historique et l’utilisation du terme ; deuxièmement, une analyse quantitative pour déterminer les questions clés telles que la proportion de l’échantillon qui relève des exceptions politiques. Meta a expliqué que le terme « İngiliz uşağı » ne répondait pas qualitativement à sa définition d’« insultes » (première étape), il a été supprimé de la liste sans procéder à une analyse quantitative de son utilisation (deuxième étape).
Le Conseil a posé 23 questions par écrit à Meta. Les questions portaient sur les critères et les processus de désignation des insultes, les conseils internes sur les insultes et l’application des exceptions à la politique, la manière dont les systèmes de prévention des erreurs ont fonctionné différemment lors de l’examen des trois publications et l’évaluation des mesures d’exécution au niveau du compte résultant de chaque décision relative au contenu. Sur les 23 questions, 22 ont reçu une réponse et une partiellement. La réponse partielle concernait la question de savoir quand et pourquoi le terme « İngiliz uşağı » a été désigné comme une insulte, l’entreprise expliquant qu’elle ne disposait pas de la documentation nécessaire. Meta a également présenté oralement au Conseil les modifications apportées à la définition des insultes et à la procédure de désignation.
7. Commentaires publics
Le Conseil de surveillance a reçu 11 commentaires publics concernant ces trois cas. Un des commentaires a été soumis par l’Asie centrale et du Sud, neuf par l’Europe et un par les États-Unis et le Canada. Les contributions ont porté sur les thèmes suivants : l’importance d’une approche contextuelle de la modération des insultes ; l’information adéquate des utilisateurs sur les raisons des suppressions de contenu ; les effets des suppressions erronées de contenu sur les organes d’information ; la pertinence de la tolérance d’intérêt médiatique pour le contenu ; et les appels à une liste publique d’exemples d’insultes.
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8. Analyse du Conseil de surveillance
Le Conseil a examiné s’il convenait de confirmer ou d’infirmer les décisions initiales de Meta dans ces trois cas en analysant les politiques de contenu, les responsabilités en matière de droits de l’homme et les valeurs de Meta. Le fait de prendre ces décisions ensemble permet également au Conseil d’évaluer leurs implications pour l’approche plus large de Meta en matière de gouvernance des contenus, en particulier dans le contexte des élections.
8.1 Respect des politiques de Meta relatives au contenu
I. Règles relatives au contenu
Discours haineux
Le Conseil estime que le terme « İngiliz uşağı » dans ces trois cas n’est pas un discours haineux selon les Standards de la communauté de Meta. Qu’il soit évalué par rapport à la définition des insultes avant ou après les modifications de politique du 25 mai 2023, le terme « İngiliz uşağı » n’attaque pas les individus sur la base d’une caractéristique protégée. La suppression du contenu contenant ce terme dans les trois cas n’est pas conforme à la justification de la politique relative au discours haineux, car il n’attaque pas les personnes sur la base d’une caractéristique protégée.
Le terme « İngiliz uşağı » a une longue histoire de critique politique en Turquie. Selon les spécialistes consultés par le Conseil, l’utilisation de l’expression est antérieure à la fondation de la Turquie moderne, lorsque l’expression était utilisée pour critiquer les dirigeants de l’Empire ottoman qui servaient les intérêts de la Grande-Bretagne, et l’expression n’est pas discriminatoire par nature. Dans ces trois cas, la confrontation concerne des personnalités politiques appartenant à des partis politiques concurrents. L’AKP, le parti du membre du Parlement Reyhanlıoğlu, a fait l’objet de critiques et de la colère de l’opinion publique concernant la gestion par le gouvernement de la réponse au tremblement de terre et sa législation accordant une amnistie aux promoteurs immobiliers pour la construction de bâtiments qui ne respectaient pas les codes de sécurité en cas de tremblement de terre. Elle a adressé cette insulte au maire İmamoğlu, une figure clé du CHP, le plus grand parti d’opposition du pays. Les relations tendues entre l’AKP et le CHP avant les élections, y compris l’importance du tremblement de terre en tant que thème électoral, se sont manifestées publiquement lors de la visite du maire İmamoğlu et du candidat présidentiel du CHP, Kemal Kılıçdaroğlu, à Kahramanmaraş. Le contenu dans chacun des trois cas est donc un discours politique sur un sujet d’intérêt public significatif dans le contexte électoral.
Comme l’a expliqué Meta, pour qu’un reportage soit considéré comme une action de sensibilisation, il ne suffit pas de répéter que quelqu’un d’autre a utilisé un discours haineux ou une insulte. En d’autres termes, une légende neutre ne suffit pas ». Si le contenu avait inclus une insulte, aucun des médias n’aurait été considéré comme « discutant » ou « rapportant » un discours haineux, car le contenu a été partagé avec une légende neutre dans les trois cas. Selon le Conseil, même si cette insulte a été désignée de manière appropriée sur la liste, le contenu dans les trois cas aurait néanmoins dû être protégé en tant que « reportage ». Selon la formulation actuelle du conseil interne, si le contenu avait inclus une insulte, aucun des médias n’aurait été considéré comme « discutant » ou « rapportant » un discours haineux, car le contenu a été partagé avec une légende neutre dans les trois cas. Selon le Conseil, même si cette insulte a été désignée de manière appropriée sur la liste, le contenu dans les trois cas aurait néanmoins dû être protégé en tant que « reportage ».
Le Conseil estime que l’expression « İngiliz uşağı » n’aurait pas dû être ajoutée à la liste confidentielle des insultes de Meta, car elle ne constitue pas une forme de discours haineux. Dans d’autres contextes, les accusations d’être un « agent étranger » peuvent constituer une menace crédible pour la sécurité des personnes, mais elles peuvent être traitées dans le cadre d’autres politiques (par exemple, dans la rubrique Violence et incitation). Même dans ces situations, Meta doit faire la distinction entre les menaces proférées par un orateur occupant une position influente et les reportages des médias sur ces menaces. Compte tenu des faits de ces cas et des conseils internes en vigueur à l’époque, les équipes d’examen de contenu, qui modèrent le contenu à grande échelle, ont agi conformément à ces conseils en supprimant le contenu contenant des termes figurant sur les listes d’insultes de Meta. À l’époque, cette liste comprenait « İngiliz uşağı ». Les erreurs commises dans ces cas sont dues à la décision politique d’ajouter le terme à la liste d’insultes et aux conseils trop restreints et confidentiels sur la manière dont les équipes d’examen doivent appliquer l’exception de « sensibilisation » aux publications « faisant état » de l’utilisation d’insultes.
Tolérance d’intérêt médiatique
Le Conseil s’inquiète du fait que, alors que les politiques internes de Meta considéraient « İngiliz uşağı » comme une insulte en infraction, les trois publications n’ont pas fait l’objet d’un examen par l’équipe en charge de la politique de base de Meta (anciennement appelée « équipe en charge de la politique de contenu ») en vue de déterminer si elles méritaient d’être publiées.
L’organisation turque de défense de la liberté d’expression İfade Özgürlüğü Derneği (İFÖD) a fait valoir dans son commentaire public qu’en raison de sa valeur d’intérêt public, le contenu dans les trois cas aurait dû bénéficier d’une tolérance d’intérêt médiatique. Si le contenu contenait une insulte correctement désignée conformément à la politique de Meta en matière de discours haineux, le Conseil serait d’accord. Les trois publications concernent la couverture du discours d’une (ancienne) personnalité politique, visant une personnalité politique actuelle, d’une manière qui se situe dans les limites de la critique (même offensante) qu’une personnalité politique est censée tolérer, y compris les épithètes insultantes. Cette évaluation pourrait être différente, par exemple, si un terme était utilisé dans son contexte particulier comme une insulte discriminatoire. La vidéo est apparue à un moment d’une grande importance politique et sociale, après une série de tremblements de terre dévastateurs qui ont frappé la Turquie. Les tremblements de terre, ainsi que les discussions liées à la réponse et à la préparation du gouvernement, ont été des sujets importants pour le président Erdoğan et le candidat à la présidence du CHP, Kemal Kılıçdaroğlu, lors de la campagne précédant les élections de mai 2023. Au lendemain des tremblements de terre, le gouvernement turc a également restreint temporairement l’accès à Twitter et à d’autres sites de réseaux sociaux en raison des critiques formulées à l’encontre de la réaction du gouvernement face au tremblement de terre. Étant donné que cette séquence était d’intérêt public et que son retrait ne réduirait pas le risque de préjudice, Meta aurait dû autoriser l’utilisation du terme dans le cadre d’un reportage d’intérêt public, même s’il avait été qualifié d’insulte à juste titre. Le Conseil a déjà insisté pour que Meta laisse le contenu contenant des insultes discriminatoires lorsque le contenu se rapportait à des moments importants de l’histoire d’un pays (voir le cas desManifestations en Colombie).
II. Défis systémiques pour l’application et la prévention des erreurs
Désignation de la liste d’insultes et procédure d’audit
Meta n’a pas été en mesure de fournir au Conseil des informations sur le moment ou la raison pour laquelle elle a initialement désigné « İngiliz uşağı » comme une insulte en raison d’une documentation insuffisante, un problème qu’elle cherche à résoudre avec ses nouvelles procédures de désignation et d’audit des insultes.
Dans le cadre de la procédure d’audit précédente, les équipes régionales de l’entreprise, avec l’aide de spécialistes en politique et en opérations, effectuaient une analyse qualitative et quantitative de la langue et de la culture de la région ou du marché concerné afin de créer des listes d’insultes. Cette procédure comprendrait l’examen de la signification associée au mot, de sa prévalence dans les plateformes de Meta et de son usage local et familier. Meta avait exigé la collecte et l’évaluation d’au moins 50 éléments de contenu contenant ce terme dans le cadre de cette procédure. Cependant, Meta a noté dans son récent forum de politique que la procédure précédente de désignation des insultes présentait un certain nombre de problèmes, notamment l’indexation sur le caractère offensant, le manque de documentation et des critères subjectifs ; et comme Meta l’a fait remarquer au Conseil, cette procédure était « appliquée de manière incohérente », les critères de suppression n’étant ni fixes ni pondérés.
Lorsque Meta a testé sa nouvelle procédure de désignation en 2023 pour le marché turc, « İngiliz uşağı » a été supprimé de la liste d’insultes. Simple coïncidence, cet audit était en cours au moment où le Conseil a sélectionné ces trois cas. Ce terme figure sur la liste d’insultes de Meta depuis au moins 2021. Selon Meta, la nouvelle procédure vise à mieux quantifier les significations et usages alternatifs d’un terme pour supprimer la désignation d’une insulte, une procédure qui vise à mieux tenir compte de l’évolution du sens des mots au fil du temps.
Ces changements de gouvernance sont généralement positifs et, s’ils sont mis en œuvre de manière efficace, ils devraient réduire l’application excessive de la politique en matière d’insultes. Toutefois, la nouvelle procédure serait améliorée si elle visait spécifiquement à identifier les termes qui ont été ajoutés à tort à la liste d’insultes. Meta devrait également veiller à mettre à jour et à rendre plus complète son explication de la désignation et de l’audit des insultes dans l’Espace modération, en l’alignant sur sa nouvelle définition des insultes et sur son approche révisée des audits des listes d’insultes.
Mesures de prévention des erreurs et défis de l’escalation
L’examen conjoint de ces trois cas a permis au Conseil d’évaluer le fonctionnement de divers systèmes de prévention des erreurs de Meta pour des contenus similaires et de réexaminer un problème systématique plus large qu’il a également relevé dans des décisions antérieures. Le Conseil est préoccupé par le fait que, bien que divers systèmes de prévention des erreurs aient été mis en œuvre lors de l’examen de chaque publication, il semble qu’ils n’aient pas fonctionné de manière cohérente dans l’intérêt des médias ou de leur public. En outre, les mesures n’ont pas permis aux équipes d’examen de faire remonter l’une des trois publications pour un examen contextuel plus approfondi. Ces démarches auraient pu conduire à ce que le contenu reste affiché (par exemple, pour des raisons d’actualité) et/ou à ce que l’erreur d’ajout de ce terme à la liste d’insultes soit identifiée plus tôt, en dehors de l’audit annuel.
La vérification croisée a été effectuée dans les trois cas, mais a fonctionné différemment dans la décision pour chaque publication. Seul Bolu Gündem a été inscrit sur la liste des médias aux fins de l’Examen secondaire de réponse rapide, alors que BirGün Gazetesi et Komedya Haber ne l’ont pas été. L’Examen secondaire de réponse rapide est la forme de vérification croisée basée sur l’entité, pour laquelle toute publication provenant d’une entité répertoriée fait l’objet d’un examen supplémentaire si elle est marquée pour suppression (voir avis consultatif en matière de politique de vérification croisée, paragraphes 27-28). Parmi les trois médias concernés, seul Bolu Gündem avait un Gestionnaire de partenaires. Selon Meta, un média doit avoir un « gestionnaire de partenaires » pour être éligible à l’Examen secondaire de réponse rapide. Selon Meta, les gestionnaires de partenaires « font le lien entre les organisations externes et les particuliers qui utilisent les plateformes et les services de Meta » et ils aident les titulaires de comptes à « optimiser leur présence et à maximiser la valeur qu’ils génèrent à partir des plateformes et des services de Meta ». Le Conseil note que les publications de BirGün Gazetesi et de Komedya Haber ont toutes deux fait l’objet d’une vérification croisée dans le cadre de l’examen général secondaire, qui donne la priorité au contenu sur la base du « classificateur de vérification croisée ». Néanmoins, le Conseil est préoccupé par le fait que les entités médiatiques locales ou plus petites ne sont pas systématiquement incluses dans la liste des entités d’Examen secondaire de réponse rapide parce qu’elles n’ont pas de gestionnaire de partenaires. Cela confirme les préoccupations exprimées par le Conseil dans son avis consultatif en matière de politique de vérification croisée concernant le manque de transparence du programme et l’absence de critères objectifs pour l’inclusion dans la liste d’Examen secondaire de réponse rapide. Les entités engagées dans le journalisme d’intérêt public devraient avoir accès à des informations claires sur la manière dont leurs comptes peuvent bénéficier de la protection par vérification croisée ; si le fait d’avoir un gestionnaire de partenaires est une condition nécessaire à l’inclusion, il devrait y avoir des instructions claires sur la demande d’un gestionnaire de partenaires. En outre, le Conseil est préoccupé par le fait que l’examen des trois publications par vérification croisée n’a pas conduit à un examen plus approfondi de la question de savoir si une exception de politique aurait dû s’appliquer et/ou si une escalation aurait dû être effectuée pour une évaluation d’intérêt médiatique.
En outre, la fonctionnalité Dynamic Multi-Review (DMR) était également « activée » pour la file d’attente d’examen concernée au moment où les trois publications ont été envoyées pour un premier examen par l’équipe de modération. Pour les besoins de la DMR, l’automatisation a permis d’identifier les trois publications pour qu’elles soient examinées par plusieurs modérateurs avant d’être supprimées, afin de garantir l’exactitude de l’examen manuel et d’atténuer le risque de décisions incorrectes fondées sur plusieurs facteurs tels que la viralité et le nombre de vues. Sur un total de huit examens pour les trois publications similaires, qui ont toutes précédé les examens supplémentaires de vérification croisée, seuls deux examinateurs (d’une publication chacun) ont déterminé que ces publications n’enfreignaient pas la politique relative aux discours haineux. Le Conseil est préoccupé par le fait que les équipes d’examen ne sont pas averties lorsque l’automatisation identifie un risque élevé d’erreur d’application, car cela pourrait les encourager à examiner le contenu de plus près, soit pour envisager des exceptions de politique potentiellement applicables et/ou pour faire remonter le contenu en vue d’une analyse contextuelle plus approfondie.
Les mesures actuelles de prévention des erreurs de Meta, tant dans la DMR que dans la vérification croisée, semblent presque entièrement axées sur la garantie que les modérateurs appliquent les politiques conformément aux conseils internes. Elles ne contiennent pas, semble-t-il, de mécanismes supplémentaires permettant aux équipes d’examen d’identifier les cas où le respect strict des conseils internes de Meta conduit à une décision erronée, car la politique elle-même est erronée (comme Meta a admis par la suite que c’était le cas pour ses trois décisions initiales). Bien que l’automatisation ait correctement identifié que les publications dans les trois cas risquaient une application de faux positif, les examens supplémentaires par les modérateurs n’ont pas conduit à des escalations pour l’application d’une tolérance d’intérêt médiatique. Compte tenu des problèmes posés par les faux positifs dans l’examen à grande échelle, les escalations devraient être plus systématiques et plus fréquentes pour les contenus liés aux débats d’intérêt public, en particulier dans le contexte des élections. Le fait que Meta ait appliqué ses systèmes de prévention des erreurs à forte intensité de ressources à ces cas, mais qu’ils soient parvenus à des résultats incorrects dans les trois cas, montre qu’ils doivent faire l’objet d’un examen plus approfondi. Meta a précédemment rejeté des préoccupations similaires soulevées par le Conseil au sujet des voies d’escalation pour les évaluations de l’intérêt médiatique dans la décision « Manifestations en Colombie » (voir la réponse de Meta à la recommandation n° 3 sur les « Manifestations en Colombie »), estimant que le travail qu’elle effectuait déjà était suffisant. Le Conseil estime que ces trois cas démontrent que cette question doit être réexaminée.
8.2 Respect des responsabilités de Meta en matière des droits de l’homme
Le Conseil estime que la décision initiale de Meta de supprimer le contenu n’est pas conforme aux responsabilités de Meta en matière de droits de l’homme qui lui incombe en tant qu’entreprise.
Liberté d’expression (article 19 du PIDCP)
L’article 19 du PIDCP prévoit une large protection de l’expression, y compris la « liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce ». Le champ d’application de la protection comprend les expressions qui « peuvent être considérées comme profondément offensantes » ( Observation générale 34, paragraphe 11). La protection de l’expression est également « particulièrement élevée » lorsque le débat public concerne « des personnalités du domaine public et politique » ( Observation générale 34, paragraphe 34). Le rôle des médias dans la diffusion d’informations dans l’écosystème numérique est essentiel. Le Conseil des droits de l’homme a souligné qu’une « presse ou d’autres médias libres, non censurés et sans entraves sont essentiels », la presse ou d’autres médias pouvant « commenter les questions d’intérêt public sans censure ni restriction et informer l’opinion publique » ( Observation générale 34, paragraphe 13).
L’expression en cause dans chacun de ces trois cas mérite une protection « particulièrement élevée », car le différend politique a eu lieu au cours d’un débat politique important concernant la réaction du gouvernement au tremblement de terre à l’approche des élections présidentielles et législatives en Turquie. La colère et les critiques du public après les tremblements de terre sont survenues alors que le président Erdoğan et le candidat à la présidence du CHP, Kemal Kılıçdaroğlu, faisaient campagne dans les mois précédant les élections présidentielles et législatives de mai 2023. Dans la Déclaration commune sur la liberté des médias et la démocratie, les titulaires de mandat des Nations unies et des régions pour la liberté d’expression conseillent que « les grandes plateformes en ligne privilégient les médias indépendants de qualité et les contenus d’intérêt public sur leurs services afin de faciliter le discours démocratique » et « remédient rapidement et de manière adéquate aux suppressions injustifiées de médias indépendants de qualité et de contenus d’intérêt public, y compris par un examen manuel accéléré » (Recommandations à l’intention des plateformes de réseaux sociaux, page 8).
Lorsque des limitations de la liberté d’expression sont imposées par un État, elles doivent remplir des critères de légalité, d’objectif légitime, et de nécessité et de proportionnalité (article 19, paragraphe 3 du PIDCP). Ces exigences sont souvent reprises sous intitulé « test tripartite ». Le Conseil utilise ce cadre pour interpréter les engagements volontaires de Meta en matière de droits de l’homme, à la fois pour la décision relative au contenu individuel en cours d’examen et pour ce que cela dit de l’approche plus large de Meta en matière de gouvernance du contenu. Comme l’a déclaré le Rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’expression disant que même si « les entreprises ne sont pas soumises aux mêmes devoirs que les gouvernements, leur influence est néanmoins telle qu’elle doit les inciter à se poser les mêmes questions qu’eux quant à la protection de la liberté d’expression de leurs utilisateurs » (A/74/486, paragraphe 41).
I. Légalité (clarté et accessibilité des règles)
Le principe de légalité exige que les règles utilisées pour limiter la liberté d’expression soient claires et accessibles (observation générale n° 34, paragraphe 25). Le Comité des droits de l’homme a en outre observé que les règles « ne peuvent pas conférer aux personnes chargées de leur application un pouvoir illimité de décider de la restriction de la liberté d’expression » (Ibid.). Dans le contexte du discours en ligne, le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’expression a déclaré que les règles devraient être spécifiques et claires ( A/HRC/38/35, paragraphe 46).
L’interdiction de discours haineux de Meta concernant les insultes n’est pas suffisamment claire pour les utilisateurs. La définition des insultes de Meta avant le 25 mai 2023 se concentrait sur le caractère offensant, ce qui était excessivement subjectif et beaucoup plus large que la définition du discours haineux de Meta telle qu’elle est formulée dans la justification de la Politique. Avant les modifications, les utilisateurs de Facebook et d’Instagram étaient susceptibles d’avoir des interprétations différentes de ce que signifiait le terme « offensant », ce qui créait une confusion qui pouvait inclure des circonstances où il y avait une atteinte à une caractéristique protégée, et d’autres où il n’y en avait pas. Les modifications du 25 mai ont clarifié dans une certaine mesure la position politique de Meta, en s’éloignant du concept vague d’« infraction ».
Dans chacun des trois cas, les notifications n’informaient pas les utilisateurs respectifs que les publications avaient été supprimées en raison de l’utilisation d’insultes, mais seulement que le contenu avait été supprimé en raison d’une violation de la politique de Meta en matière de discours haineux. Dans sa mise à jour du deuxième trimestre 2022 sur le Conseil de surveillance, Meta a déclaré qu’elle « prévoit d’évaluer la faisabilité d’une augmentation de la précision en ajoutant une granularité supplémentaire à l’aspect de la politique qui a été violé à grande échelle (par exemple, la violation de l’interdiction des insultes dans le cadre du Standard de la communauté sur le discours haineux). » Meta a noté dans ce rapport que ses systèmes d’examen sont plus précis au niveau politique et qu’ils donnent donc la priorité à un « message correct et plus large » plutôt qu’à un « message spécifique mais inexact ». Par exemple, Meta est plus confiante dans sa capacité à informer avec précision les utilisateurs qu’ils ont enfreint la politique relative au discours haineux, mais moins confiante dans sa capacité à informer avec précision les utilisateurs de la règle spécifique de cette politique (par exemple, l’interdiction des insultes) qu’ils ont enfreinte. Dans la réponse de Meta à la recommandation du cas « Insultes en Afrique du Sud », l’entreprise a toutefois déclaré qu’elle « mettait en place de nouvelles capacités pour fournir des notifications plus détaillées », qui sont désormais proposées en anglais, avec des tests de notifications en arabe, en espagnol et en portugais sur Facebook. Cela n’aurait pas été bénéfique pour les utilisateurs dans les cas présents, car le Conseil sait que les notifications reçues par les utilisateurs étaient rédigées en turc. Le Conseil demande instamment à Meta de fournir ce niveau de détail aux utilisateurs non anglophones.
La liste des exceptions de Meta à l’interdiction des insultes, et plus généralement des discours haineux, pourrait être expliquée plus clairement aux utilisateurs et aux équipes d’examen de contenu. Bien que le Conseil émette des réserves quant à l’exigence de déclarations d’intention claires pour bénéficier des exceptions, dans la mesure où l’intention devrait être une considération nécessaire, Meta doit préciser plus clairement aux utilisateurs comment ils peuvent démontrer l’intention pour chacune des exceptions énumérées. En outre, les conseils internes destinés aux équipes d’examen semblent autoriser des exceptions plus larges que celles communiquées publiquement aux utilisateurs, ce qui pose des problèmes d’accessibilité et de clarté. Les conseils politiques de Meta indiquent que le « reportage » est autorisé dans le cadre de la politique relative au discours haineux lorsqu’il s’agit d’une action de sensibilisation. Le Conseil a déjà critiqué la politique de Meta en matière de discours haineux pour ne pas avoir expliqué aux équipes d’examen des règles contenues dans des conseils internes (voir, par exemple, le cas relatif au Meme aux deux boutons). Meta devrait faire savoir publiquement que les reportages sur les discours haineux sont autorisés, idéalement dans le cadre d’une exception autonome qui distingue le « reportage » journalistique de la « sensibilisation ». Ces informations sont particulièrement importantes pour aider les médias et autres entités qui souhaitent rendre compte d’incidents au cours desquels une insulte a été utilisée par des tiers dans une affaire d’intérêt public, y compris lorsque l’insulte est accessoire ou n’est pas le point principal du reportage, d’une manière qui ne crée pas une atmosphère d’exclusion et/ou d’intimidation. Elle doit être formulée de manière à reconnaître que les médias et autres acteurs du journalisme, afin de rendre compte de l’actualité de manière impartiale, n’ont pas toujours l’intention de « sensibiliser » et qu’il peut être nécessaire d’en déduire d’autres indices contextuels.
II. Objectif légitime
Toute limitation de la liberté d’expression doit poursuivre l’un des objectifs légitimes énoncés dans le PIDCP, lesquels incluent les « droits d’autrui ». Dans plusieurs décisions, le Conseil a estimé que la politique de Meta en matière de discours haineux, y compris l’interdiction des insultes, poursuit l’objectif légitime de protéger les droits d’autrui, à savoir ne pas faire l’objet de discrimination (voir, par exemple, la décision sur les « Arméniens d’Azerbaïdjan »).
Le Conseil note que la mise à jour de la définition des insultes par Meta, le 25 mai, a clarifié cet objectif. Les références antérieures aux insultes « intrinsèquement offensantes » ont pu être interprétées comme impliquant un droit des individus à la protection contre les discours offensants en tant que tels. Il ne s’agirait pas d’un objectif légitime, car le droit international relatif aux droits de l’homme ne prévoit pas de droit à la protection contre les discours offensants. La nouvelle définition de Meta, qui remplace le concept d’offense par une définition plus objective des termes qui « créent intrinsèquement un climat d’exclusion et d’intimidation à l’encontre de personnes sur la base d’une caractéristique protégée », s’aligne plus étroitement sur l’objectif légitime de protection des droits d’autrui.
III. Nécessité et proportionnalité
Le principe de nécessité et de proportionnalité stipule que les restrictions de la liberté d’expression « doivent être appropriées pour remplir leur fonction de protection ; elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché ; [et] elles doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger » (Observation générale n° 34, paragraphe 34). Le Conseil estime qu’il n’était pas nécessaire de supprimer le contenu dans ces trois cas. Combinée à des manquements systémiques à l’application des exceptions pertinentes, la liste interne d’insultes de Meta peut équivaloir à une interdiction quasi absolue, ce qui soulève des problèmes de nécessité et de proportionnalité dans le contexte d’un reportage journalistique.
En ce qui concerne la nécessité, l’inclusion de « İngiliz uşağı » dans la liste d’insultes n’était pas nécessaire pour protéger les personnes contre le discours haineux car il n’est pas utilisé pour attaquer des personnes sur la base d’une caractéristique protégée. La liste d’insultes de Meta semble également inclure des termes qui ne correspondent pas à la définition d’insultes de l’entreprise, avant ou après les révisions de la politique du 25 mai. Le Conseil a bénéficié d’un accès complet aux listes d’insultes mises à jour pour la dernière fois au cours du premier trimestre 2023, et de nombreux termes répertoriés, sur l’ensemble des marchés, sont discutables en matière de discours haineux ou seraient mieux compris comme des insultes offensantes qui ne sont pas de nature discriminatoire. Certains membres du Conseil se sont également inquiétés du fait que la liste ne comprenait pas suffisamment de termes de discours haineux que l’on s’attendrait à voir figurer sur de telles listes mais qui n’y figurent pas ; alors que pour certains marchés ou certaines langues, la liste des termes désignés s’étend sur plusieurs pages, pour d’autres marchés, les listes sont beaucoup plus courtes.
À l’époque des décisions initiales de Meta dans ces cas, la définition antérieure de Meta des insultes, qui reposait alors sur le concept d’offense, était trop large et a conduit à des restrictions disproportionnées de l’expression lorsque trois médias ont rapporté des évènements d’importance politique impliquant l’utilisation d’insultes par des personnalités publiques. Même si l’expression avait été correctement qualifiée d’insulte, lorsqu’il s’agit de rendre compte d’évènements au cours desquels des tiers l’ont utilisée sans inciter à la violence ou à la discrimination, le contenu aurait dû être qualifié de « reportage » autorisé. Les conseils politiques non divulgués de Meta sur la façon dont le reportage des insultes doit être accompagné d’un contexte supplémentaire pour être considéré comme une « sensibilisation » ont interféré avec la discrétion éditoriale et les tentatives d’information du public turc de chacun des organes d’information. Les entités médiatiques dans ces trois cas ont partagé la vidéo sans le contexte supplémentaire qui indiquerait une intention de condamner ou de sensibiliser (voir ci-dessus l’analyse par le Conseil des exceptions de Meta à la section 8.1).
Dans la décision « Mention des Talibans dans les informations d’actualité », le Conseil a examiné les défis posés par l’exigence d’une intention claire de l’utilisateur « même lorsque des indices contextuels indiquent clairement que la publication est, en fait, un reportage ». Bien que ce cas concerne la politique relative aux organisations et personnes dangereuses (qui prévoit une exception publique pour les reportages sur les entités désignées), les observations sur l’intention qui y sont formulées s’appliquent également à ces cas de discours haineux. Il est souvent considéré comme une bonne pratique journalistique de rapporter les faits de manière neutre ou impartiale, sans jugement de valeur, une pratique qui est en contradiction avec les qualifications de Meta pour les reportages nécessitant une intention claire de condamner ou de sensibiliser. Ces cas apportent une facette supplémentaire à cette critique. Bien que l’exception de « sensibilisation » de Meta concerne les reportages sur l’utilisation d’insultes, cette application étroite n’inclut pas les circonstances, telles que celles de ces cas, dans lesquelles l’utilisation d’insultes était largement accessoire par rapport au sujet principal du reportage. Dans ces cas, la suppression des trois publications constituait une restriction inutile et disproportionnée de la liberté d’expression des droits des individus dans les médias et des droits d’accès à l’information de leur public.
Le Conseil est préoccupé par le fait que Meta applique mécaniquement sa politique relative au discours haineux aux insultes et ne tient pas compte des cas où une personnalité publique est présente et fait l’objet de critiques. Le Conseil des droits de l’homme a observé que les fonctionnaires sont « légitimement soumis à la critique et à l’opposition politique » ( Observation générale 34, paragraphe 38). Le Conseil a déjà soulevé cette question dans sa décision « Manifestations en Colombie ». Dans ce cas, le Conseil a déclaré que le contexte devait être soigneusement pris en compte, non seulement le contexte politique dans lequel une insulte est utilisée, mais aussi si une insulte est utilisée dans le cadre d’une critique des dirigeants politiques. La décision du Conseil sur Slogan de protestation en Iran » portait sur des menaces hypothétiques à l’encontre de dirigeants politiques, soulignant l’importance de protéger le discours politique rhétorique tout en veillant à ce que toutes les personnes, y compris les personnalités publiques, soient protégées contre des menaces crédibles. La critique des personnalités publiques peut prendre diverses formes, y compris un langage offensant, mais l’approche actuelle de Meta en matière d’application n’offre pas l’espace nécessaire pour équilibrer de manière réfléchie ces facteurs concurrents, que ce soit dans le cadre des règles de non-divulgation pour les reportages ou dans celui de la tolérance parallèle et plus généralement applicable de l’intérêt médiatique. Une politique mieux adaptée aux reportages permettrait une évaluation plus réfléchie du contexte lors de l’examen à grande échelle, sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’escalation.
Comme le Conseil l’a souligné ci-dessus (section 8.1 : mesures de prévention des erreurs et défis de l’escalation), et dans sa décision « Manifestations en Colombie », les publications potentiellement d’intérêt médiatique qui méritent une évaluation contextuelle plus approfondie ne semblent pas être remontées à l’équipe politique de Meta de manière aussi systématique ou fréquente qu’elles devraient l’être. Alors que Meta présente la tolérance d’intérêt médiatique comme une sorte de sécurité absolue pour protéger l’expression de l’intérêt public, les rapports de transparence de Meta révèlent que la tolérance n’a été appliquée que 68 fois au cours de l’année allant de juin 2021 à mai 2022. Comme l’a noté le Conseil dans sa décision « Manifestations en Colombie », « l’exception relative à l’intérêt médiatique ne doit pas être interprétée comme une autorisation générale permettant aux discours haineux de rester en ligne. » Cependant, il convient d’appliquer des mécanismes plus solides pour protéger l’expression de l’intérêt public, qui peut trop facilement être supprimée à tort.
Dans deux cas, les systèmes de pénalités et de sanctions de Meta ont aggravé les problèmes de nécessité et de proportionnalité, les suppressions injustifiées entraînant des restrictions supplémentaires à l’expression des utilisateurs et à la liberté des médias. Ces mesures ont rendu plus difficile pour les deux médias le partage libre de leurs reportages pendant la durée de ces restrictions. En raison de l’effet dissuasif des futures sanctions probables, encore plus graves, cela a eu un impact réel à un moment où les tremblements de terre et la période préélectorale rendaient l’accès à des informations locales indépendantes particulièrement important.
Le Conseil encourage également Meta à expérimenter des procédures internes proactives pour éviter les faux positifs et des moyens moins intrusifs de réglementer l’utilisation d’insultes, en plus de la suppression de contenu qui peut entraîner des pénalités et des restrictions de fonctionnalités. Étant donné que la liberté d’expression, reflétée dans la valeur primordiale de Meta qu’est la « liberté d’expression », est la règle et que l’interdiction des insultes par Meta est l’exception, les conseils internes de Meta à l’intention des modérateurs devraient établir une présomption selon laquelle les reportages journalistiques (y compris le journalisme citoyen) ne devraient pas être supprimés. Bien que le Conseil ait souligné dans la décision Manifestations en Colombie que « l’exception relative à l’intérêt médiatique ne doit pas être interprétée comme une autorisation générale permettant aux discours haineux de rester en ligne », les règles internes de Meta devraient encourager la prise en compte complète des circonstances spécifiques, afin de garantir que les reportages d’intérêt public, qui ne sont pas des discours haineux, ne soient pas supprimés de manière erronée. Le Conseil rappelle également sa décision dans le cas relatif au Collier de wampum, dans laquelle elle a souligné l’importance pour Meta d’évaluer le contenu dans son ensemble, plutôt que de procéder à des évaluations basées sur des parties isolées du contenu.
En outre, la révision des notifications aux utilisateurs pour y inclure des incitations au comportement, par exemple pour informer les utilisateurs lorsque leurs publications semblent contenir des insultes interdites, et les inviter à modifier leurs publications, peut accroître le respect des politiques de l’entreprise. Des ressources supplémentaires sont nécessaires pour permettre aux médias de comprendre comment ils doivent rendre compte d’articles comportant des insultes sans que cela n’entraîne la suppression du contenu. Des conseils aux utilisateurs sur la manière de modifier les vidéos diffusées pour masquer les insultes tout en permettant de rendre compte des évènements actuels pourraient également réduire le nombre de médias dont les comptes sont restreints en raison de leurs reportages sur des questions d’intérêt public.
9. Décision du Conseil de surveillance
Le Conseil de surveillance annule les décisions initiales de Meta de supprimer le contenu dans chacun de ces trois cas.
10. Recommandations
Politique de contenu
1. Afin de garantir que les médias puissent rendre compte plus librement des sujets d’intérêt public, Meta devrait revoir le Standard de la communauté relatif au discours haineux afin de protéger explicitement les reportages journalistiques sur les insultes lorsque ces reportages, en particulier dans un contexte électoral, ne créent pas une atmosphère d’exclusion et/ou d’intimidation. Cette exception devrait être rendue publique et être distincte des exceptions « sensibilisation » et « condamnation ». Les modérateurs devraient recevoir une formation appropriée, en particulier en dehors des langues anglaises, afin de garantir le respect du journalisme, y compris des médias locaux. L’exception de reportage doit indiquer clairement aux utilisateurs, en particulier aux médias, comment ces contenus doivent être contextualisés, et les conseils internes destinés aux équipes d’examen doivent être rédigés en conformité. Le Conseil considérera que cette recommandation a été suivie lorsque les Standards de la communauté auront été mis à jour et que les règles internes pour les équipes d’examen manuel de Meta auront été mises à jour pour refléter ces modifications.
2. Pour que les cas où l’utilisation d’insultes est autorisée soient plus clairs, Meta devrait veiller à ce que le Standard de la communauté relatif au discours haineux explique plus clairement chaque exception à l’aide d’exemples illustratifs. Des exemples de situations peuvent être fournis dans le résumé, afin d’éviter de répéter les termes du discours haineux. Le Conseil tiendra compte de cette mise en œuvre lorsque Meta restructurera son Standard de la communauté sur le discours haineux et ajoutera des exemples illustratifs.
Mise en application
3. Pour réduire le nombre d’erreurs dans l’application de sa politique en matière de discours haineux, Meta devrait accélérer les audits de ses listes d’insultes dans les pays où des élections auront lieu au second semestre 2023 et au début de 2024, dans le but d’identifier et de supprimer les termes ajoutés par erreur aux listes d’insultes de l’entreprise. Le Conseil examinera cette mise en œuvre lorsque Meta fournira une liste actualisée des insultes désignées à la suite de l’audit, ainsi qu’une liste des termes retirés de la liste, par marché, à la suite des nouveaux audits.
* Note de procédure :
Les décisions du Conseil de surveillance sont préparées par des panels de cinq membres et approuvées par une majorité du Conseil. Elles ne représentent pas nécessairement les opinions personnelles de tous ses membres.
Pour la décision sur ce cas, des recherches indépendantes ont été commandées au nom du Conseil. Le Conseil était assisté d’un institut de recherche indépendant, dont le siège se trouve à l’université de Göteborg. Il avait mobilisé une équipe de plus de 50 experts en sciences sociales sur 6 continents ainsi que 3 200 experts nationaux du monde entier. Le Conseil a également bénéficié de l’aide de Duco Advisors, une société de conseil spécialisée dans la géopolitique, la confiance et la sécurité, ainsi que la technologie. Memetica, une organisation qui effectue des recherches open-source sur les tendances des réseaux sociaux, a également fourni une analyse. L’entreprise Lionbridge Technologies, LLC, dont les spécialistes parlent couramment 350 langues et travaillent dans 5 000 villes du monde entier, a fourni son expertise linguistique.
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