Confirmé
Produits pharmaceutiques au Sri Lanka
Le Conseil de surveillance a maintenu la décision de Meta d’autoriser une publication Facebook visant à demander des dons de médicaments pharmaceutiques en faveur du Sri Lanka pendant la crise financière du pays.
Cette décision est également disponible en cingalais et en tamoul.
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Résumé du cas
Le Conseil de surveillance a maintenu la décision de Meta d’autoriser une publication Facebook visant à demander des dons de médicaments pharmaceutiques en faveur du Sri Lanka pendant la crise financière du pays. Toutefois, le Conseil estime que des exceptions secrètes et discrétionnaires à la politique sont incompatibles avec les responsabilités de Meta en matière de droits de l’homme et a formulé des recommandations afin d’améliorer la transparence et la cohérence relatives à la tolérance au titre de « l’esprit de la politique ». Cette tolérance autorise le contenu lorsqu’une interprétation stricte d’une politique produit un effet qui est en contradiction avec l’intention de cette politique.
À propos du cas
En avril 2022, une image avait été publiée sur la page Facebook d’un syndicat médical sri-lankais, faisant appel aux dons de médicaments et de produits médicaux pour le pays et fournissant un lien pour le faire.
Le Sri Lanka se trouvait à ce moment-là au cœur d’une crise politique et financière importante ayant vidé les réserves de devises étrangères du pays. Par conséquent, le Sri Lanka, qui importe 85 % de ses produits médicaux, n’avait plus les fonds nécessaires à ces importations. Des médecins avaient déclaré que les hôpitaux arrivaient à court de médicaments et de produits de première nécessité et avaient expliqué craindre une catastrophe sanitaire imminente.
Les équipes Meta responsables de la surveillance des risques pendant la crise au Sri Lanka ont identifié le contenu de ce cas. L’entreprise estimait que cette publication allait à l’encontre de son Standard de la communauté sur les biens et services restreints, qui interdit le contenu demandant des médicaments pharmaceutiques, mais elle a appliqué une tolérance étendue au titre de « l’esprit de la politique ».
Les tolérances au titre de « l’esprit de la politique » autorisent le contenu lorsque la justification de la Politique et des valeurs de Meta exigent d’appliquer une stratégie différente de l’interprétation stricte des règles. Les tolérances étendues s’appliquent à des catégories de contenu dans leur ensemble et pas à des publications en particulier. La justification de la Politique sur les biens et services restreints mentionne « encourager la sécurité ». Meta a transmis ce cas au Conseil.
Principales observations
Le Conseil de surveillance estime que la publication enfreint le Standard de la communauté sur les biens et services restreints. Toutefois, il juge que l’application d’une tolérance étendue au titre de « l’esprit de la politique » pour autoriser ce contenu et d’autres contenus similaires était appropriée et conforme aux valeurs de Meta et à ses responsabilités en matière de droits de l’homme.
Dans le contexte de la crise au Sri Lanka, dans le cadre de laquelle la santé et la sécurité des habitants étaient gravement menacées, la tolérance avait pour but de respecter l’objectif du Standard de la communauté consistant à « encourager la sécurité » ainsi que le droit de l’homme à la santé. Malgré le fait qu’autoriser des dons de médicaments comporte des risques, le besoin urgent du Sri Lanka a justifié les actions de Meta.
Cependant, le Conseil est préoccupé par le fait que Meta a déclaré que la tolérance au titre de « l’esprit de la politique » pourrait s’appliquer au contenu publié en cingalais en dehors du Sri Lanka, en plus du marché du Sri Lanka. Meta devrait définir clairement dans quels cas ses tolérances s’appliquent. Meta devrait également s’assurer que les tolérances étendues sont sensibles à la diversité ethnique et linguistique des personnes qu’elles peuvent concerner, afin d’éviter toute discrimination involontaire. Le Sri Lanka a deux langues officielles, le cingalais et le tamoul, cette dernière étant largement utilisée par les minorités tamoule et musulmane.
Le Conseil estime également que, pour remplir ses responsabilités en matière de droits de l’homme, Meta devrait prendre des mesures pour que les utilisateurs comprennent mieux la tolérance au titre de « l’esprit de la politique » et pour veiller à ce qu’elle soit appliquée de manière cohérente.
Les utilisateurs qui signalent un contenu ne sont pas notifiés si ce contenu fait l’objet de cette tolérance et n’ont pas non plus la possibilité de savoir que l’exception existe. La tolérance au titre de « l’esprit de la politique » n’est pas mentionnée dans les Standards de la communauté et Meta n’a publié aucune information à ce sujet dans l’Espace modération comme elle l’a fait pour l’exception pour intérêt médiatique en partie grâce aux recommandations du Conseil. Les exceptions secrètes et discrétionnaires aux politiques de Meta sont incompatibles avec les responsabilités de Meta en matière de droits de l’homme.
Il ne semble pas exister de critères clairs pour déterminer quand les tolérances au titre de « l’esprit de la politique » peuvent être appliquées ou doivent être révoquées. Le Conseil souligne l’importance de ces critères afin d’assurer que les décisions sont prises de manière cohérente et recommande à Meta de les rendre publics. Le Conseil estime également que lorsque Meta applique régulièrement une tolérance pour un même motif, elle devrait évaluer si une exception distincte à la politique concernée est nécessaire.
Décision du Conseil de surveillance
Le Conseil de surveillance confirme la décision de Meta de maintenir la publication sur Facebook.
Le Conseil recommande également à Meta de :
- publier des informations sur la tolérance au titre de « l’esprit de la politique » dans l’Espace modération comprenant les critères utilisés pour déterminer l’étendue de la tolérance ;
- expliquer dans ses Standards de la communauté que ces tolérances peuvent s’appliquer lorsque la justification de la Politique et les valeurs de Meta exigent d’appliquer une stratégie différente de l’interprétation stricte des règles. Ce point devrait rediriger vers les informations concernant la tolérance au titre de « l’esprit de la politique » dans l’Espace modération ;
- informer les utilisateurs lorsque le contenu qu’ils ont signalé fait l’objet de la tolérance au titre de « l’esprit de la politique » ;
- partager publiquement les informations agrégées en matière de tolérances accordées au titre de « l’esprit de la politique » dans l’Espace modération, y compris le nombre de cas ainsi que les régions et les langues concernées.
*Les résumés de cas fournissent une présentation du cas et n’ont pas valeur de précédent.
Décision complète sur le cas
1. Résumé de la décision
Le Conseil confirme la décision de Meta de maintenir sur Facebook cette publication faisant appel aux dons de médicaments pour le Sri Lanka. Malgré le fait que ce contenu enfreigne le Standard de la communauté de Meta sur les biens et services restreints, il a été maintenu sur Facebook après avoir fait l’objet d’une tolérance étendue accordée par Meta au titre de « l’esprit de la politique ». Cette tolérance autorise le contenu tentant de faire don de produits pharmaceutiques ou d’en offrir ou cherche à obtenir des produits pharmaceutiques en faveur du Sri Lanka entre le 27 avril et le 10 novembre 2022. Le Conseil estime que cette tolérance était appropriée au vu des graves crises politique, économique et sanitaire au Sri Lanka et de leur aggravation, mais exhorte Meta à fournir plus d’informations à ses utilisateurs sur la manière dont cette tolérance au titre de « l’esprit de la politique » s’applique, plus particulièrement en période de crise.
2. Description du cas et contexte
En avril 2022, un utilisateur de Facebook a publié une image sur la page Facebook d’un syndicat médical du Sri Lanka. L’image comprend un bouton sur lequel on peut lire « Donate » (Faire un don) ainsi qu’une légende en anglais indiquant qu’il est désormais possible de faire don de médicaments et de produits médicaux au Sri Lanka en cliquant sur le lien fourni. Le lien présent dans la légende redirige vers une page du site externe du syndicat. Cette page décrit la crise du secteur de la santé au Sri Lanka et explique le besoin de dons de médicaments afin de soutenir le système de santé du pays. La page web fournit également des instructions pour les donateurs, notamment sur le fait d’obtenir : 1) une lettre du destinataire des médicaments donnés ; 2) une facture commerciale spécifiant le type de médicaments, leur quantité et leur valeur ; et 3) une numérisation de l’étiquette des médicaments. La publication a été vue plus de 80 000 fois, partagée moins de 1000 fois et n’a pas été signalée.
Au moment de cette publication, le Sri Lanka se trouvait au cœur d’une crise financière importante ayant vidé les réserves de devises étrangères du pays. De nombreux Sri-Lankais ont participé à des manifestations contre les membres du gouvernement en raison de leur rôle dans la crise économique du pays. En juin 2022, les Nations unies ont signalé qu’environ trois quarts de la population avaient réduit leur consommation de nourriture en raison des graves pénuries alimentaires que connaît le pays. Quatre-vingt-cinq pour cent des produits médicaux du Sri Lanka sont importés d’autres pays, en particulier l’Inde. La crise actuelle prive le Sri Lanka des fonds lui permettant d’importer ces médicaments. En avril 2022, des médecins sri-lankais avaient déclaré que les hôpitaux arrivaient à court de médicaments et de produits de première nécessité et avaient expliqué craindre une catastrophe sanitaire imminente. Les procédures médicales de routine étaient alors annulées et les médecins s’inquiétaient de la croissance exponentielle de la mortalité. En septembre 2022, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) au Sri Lanka est intervenu pour acheter et fournir des médicaments et des produits médicaux vitaux et essentiels pour le pays, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au Sri Lanka, avec le soutien financier du Fonds central d’intervention d’urgence (CERF) des Nations unies.
L’équipe Global Operations de Meta a identifié le contenu en question lors d’un effort de surveillance des risques lié à la crise en cours au Sri Lanka. L’entreprise a déclaré que ce type d’efforts de surveillance est généralement mis en place lors d’évènements à haut risque grâce à l’expertise de l’équipe et à son évaluation des situations hors plateforme. Le contenu du cas a été transmis à deux reprises pour un examen supplémentaire avant d’atteindre l’équipe Meta chargée de la politique de contenu.
Meta a émis une tolérance au titre de « l’esprit de la politique » étendue et limitée dans le temps afin d’autoriser cette publication visant à faire des dons de médicaments et à en demander en faveur du Sri Lanka. Meta fait des exceptions au titre de « l’esprit d’une politique » lorsqu’une interprétation stricte du Standard de la communauté pertinent produit des effets qui ne sont pas cohérents vis-à-vis de sa justification et de ses objectifs. Les tolérances étendues en matière de politique sont des tolérances générales qui s’appliquent à tous les contenus qui correspondent un certain critère. Elles ne peuvent être émises que par les équipes internes de Meta lors d’une remontée d’informations. Une fois émises, ces tolérances étendues en matière de politique sont appliquées par les examinateurs spécifiques. La tolérance au titre de « l’esprit de la politique » a été émise le 27 avril 2022 pour une période de deux semaines (valable du 27 avril au 10 mai 2022). Cette tolérance a été prolongée plusieurs fois après avoir été examinée et renouvelée périodiquement.
Depuis le 10 novembre 2022, lors de l’échéance de la tolérance, Meta examine tout contenu qui tente de faire don de produits pharmaceutiques ou d’en offrir ou qui cherche à obtenir des produits pharmaceutiques en faveur du Sri Lanka au regard de la Politique sur les biens et services restreints et applique cette politique sans tolérance.
Meta a communiqué le cas au Conseil, tout en précisant sa nature complexe, car il s’agit de trouver l’équilibre entre les valeurs de « Sécurité » et de « Voix », et importante, car il concerne la crise financière sri-lankaise, qui pourrait entraîner des décès évitables en raison du manque de médicaments pharmaceutiques. Meta a demandé au Conseil d’évaluer la façon dont l’entreprise fait preuve de tolérances, temporaires et limitées à une région, au titre de « l’esprit de la politique » sur les biens et services restreints, en particulier dans des situations de crise ou de conflit.
3. Champ d’application et autorité du Conseil de surveillance
Le Conseil est compétent pour examiner les décisions que Meta lui présente pour examen (article 2, section 1 de la Charte ; article 2, section 2.1.1 des Statuts). Le Conseil peut exiger de Meta que ses décisions y fassent référence.
Le Conseil peut confirmer ou annuler la décision de Meta (article 3, section 5 de la Charte), et ce, de manière contraignante pour l’entreprise (article 4 de la Charte). Meta doit également évaluer la possibilité d’appliquer la décision du Conseil à un contenu identique dans un contexte parallèle (article 4 de la Charte). Les décisions du Conseil peuvent inclure des avis consultatifs sur la politique avec des recommandations non contraignantes auxquelles Meta doit répondre (article 3, section 4 ; article 4 de la Charte). Lorsque Meta s’engage à donner suite aux recommandations, le Conseil surveille leur mise en œuvre.
4. Sources d’autorité et conseils
Les standards suivants et les précédents ont éclairé l’analyse du Conseil dans ce cas :
I. Décisions du Conseil de surveillance :
Les décisions antérieures les plus pertinentes du Conseil de surveillance comprennent :
- « Slogan de protestation en Iran » (2022-013-FB-UA) : Ce cas décrit la manière dont l’autre politique de tolérance de Meta, la tolérance pour intérêt médiatique, peut s’appliquer en temps de crise. Le Conseil a recommandé à Meta de fournir plus d’informations au public sur les tolérances pour intérêt médiatique ayant été accordées et de les annoncer lors de leur application.
- « Manifestations en Colombie » (2021-010-FB-UA) : Ce cas portait sur les tolérances pour intérêt médiatique. Le Conseil a recommandé à Meta de « notifier tous les utilisateurs qui ont signalé un contenu jugé en infraction, mais laissé sur la plateforme pour des raisons d’intérêt public, car l’intérêt médiatique a été appliqué à la publication. Cette notification devrait comporter un lien vers l’explication de l’intérêt médiatique disponible dans l’Espace modération. »
- « Suspension de l’ancien président américain Trump » (2021-001-FB-FBR) : Ce cas portait sur la réponse de Meta aux crises et à ses exceptions aux politiques. Le Conseil a recommandé à Meta de « développer et de publier une politique régissant sa réponse face aux crises ou aux situations nouvelles lorsque ses procédures habituelles ne permettent pas de prévenir ou d’empêcher un préjudice imminent ».
II. Règles de Meta relatives au contenu :
Standard de la communauté sur les biens et services restreints
Le Standard de la communauté Meta sur les biens et services restreints interdit « aux individus, aux fabricants et aux distributeurs d’acheter, de vendre, de mettre en jeu, d’offrir, de transférer ou d’échanger certains biens et services. » Cela inclut les tentatives de « faire don de produits pharmaceutiques ou d’en offrir » ainsi que la recherche d’obtention de « produits pharmaceutiques, sauf lorsque le contenu aborde l’abordabilité, l’accessibilité ou l’efficacité de produits pharmaceutiques dans un contexte médical ». La justification de la Politique pour ce Standard de la communauté stipule que l’objectif est d’encourager la sécurité et de prévenir les activités potentiellement dangereuses. Dans le cadre de ce Standard de la communauté, les « médicaments pharmaceutiques » sont décrits comme des « médicaments qui nécessitent une ordonnance ou des professionnels de la santé pour être administrés ».
Tolérance au titre de l’esprit de la politique
Meta peut appliquer une tolérance au titre de « l’esprit de la politique » à du contenu lorsque la justification de la Politique (le texte qui introduit tous les Standards de la communauté) et les valeurs de Meta exigent d’appliquer une stratégie différente de l’interprétation stricte des règles (les règles établies dans la section « Ne publiez pas » et via la liste des contenus interdits).
Dans ce cas, Meta a appliqué une tolérance au titre de « l’esprit de la politique » afin d’autoriser le contenu ayant pour objectif de faire don de produits pharmaceutiques ou d’en offrir, ou encore de demander des dons de produits pharmaceutiques au Sri Lanka. Cette décision a été prise en raison de la crise économique et du besoin urgent de médicaments. Meta a déclaré dans sa réponse au Conseil que la tolérance s’appliquait au contenu posté au Sri Lanka et que « cela pouvait également inclure du contenu publié en cingalais en dehors du Sri Lanka » en raison du « routage du marché ». Meta n’a pas mentionné que la tolérance s’appliquait aussi sur du contenu posté hors du Sri Lanka en tamoul, autre langue officielle du pays.
L’analyse du Conseil s’appuyait également sur la notion de « Voix » de Meta, que l’entreprise décrit comme « primordiale », ainsi que sur la valeur de « Sécurité ».
III. Responsabilités de Meta en matière de droits de l’homme
Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies (PDNU), soutenus par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2011, établissent un cadre de travail volontaire pour les responsabilités relatives aux droits de l’homme des entreprises privées. En 2021, Meta a annoncé l’entrée en vigueur de sa Politique d’entreprise relative aux droits de l’homme, dans laquelle elle a réaffirmé son engagement à respecter les droits de l’homme conformément aux PDNU.
L’analyse du Conseil sur les responsabilités de Meta en matière de droits de l’homme en l’espèce s’est appuyée sur les standards internationaux suivants :
- Le droit à la liberté d’opinion et d’expression : l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), l’observation générale n° 34 du Comité des droits de l’homme, 2011 ; les rapports du Rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’opinion et d’expression : A/HRC/38/35 (2018) et A/74/486 (2019).
- Le droit à la vie : Article 6 du PIDCP.
- Le droit à la santé : l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). l’observation générale n° 14, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, (2000).
5. Soumissions de l’utilisateur
L’auteur de la publication a été notifié de l’examen par le Conseil et a eu la possibilité d’envoyer une déclaration au Conseil. L’utilisateur n’a pas émis de déclaration.
6. Soumissions de Meta
Meta a expliqué au Conseil que même si ses Standards de la communauté n’autorisent pas le contenu cherchant à obtenir des médicaments pharmaceutiques, l’entreprise a estimé que le besoin de « médicaments pharmaceutiques, précipité par une crise économique au Sri Lanka, justifiait une tolérance dans le cadre de la justification de la Politique sur les biens et services restreints ». Cette justification établit que l’objectif de cette politique est d’« encourager la sécurité et prévenir les activités potentiellement dangereuses ». Meta a également déclaré que la décision d’émettre des tolérances étendues était « particulièrement compliquée », car cela exige de Meta de « déterminer un équilibre entre les besoins des Sri-Lankais pendant la crise et les dangers que représente le fait d’autoriser les utilisateurs à partager et échanger des médicaments potentiellement dangereux » sur les plateformes de l’entreprise. Meta a aussi signalé que la majorité des pays, y compris le Sri Lanka, avaient des « lois de distribution des médicaments strictes criminalisant la vente, le transport ou le transfert de substances contrôlées ». Toutefois, l’entreprise affirme que sa décision d’accorder une tolérance au titre de « l’esprit de la politique » dans ce cas a également favorisé l’objectif légitime de la sécurité des utilisateurs et de la protection de la santé publique en raison des risques de sécurité liés à la pénurie de médicaments au Sri Lanka.
Meta estime que sa décision est conforme à ses valeurs et aux principes internationaux des droits de l’homme en matière de santé publique. Meta fournit des exemples d’autres tolérances accordées pour des dons pharmaceutiques, y compris : (a) une tolérance de trois mois à Cuba en 2022 fondée sur une pénurie sévère de médicaments en raison d’une crise économique ; (b) une tolérance de neuf mois au Liban en 2021 fondée sur une pénurie sévère de médicaments et leur prix très élevé pendant une crise économique ; et (c) une tolérance en Ukraine, valable depuis le 27 février 2022, fondée sur les troubles d’approvisionnement causés par l’invasion de la Russie.
Meta a déclaré avoir également émis des tolérances au titre de « l’esprit de la politique » limitées aux médicaments et équipements médicaux liés à la COVID-19, « autorisant le contenu de donation ou d’appel aux dons d’oxygène de qualité médicale en Afghanistan (un mois), en Indonésie (un mois) et au Myanmar (cinq mois) ainsi que le contenu de donation ou d’appel aux dons de remdésivir, de fabiflu et de tocilizumab en Inde (un mois) et au Népal (deux semaines) ». Meta a également déclaré que, dans chacune de ces situations, l’entreprise se fiait à des « rapports indépendants pour vérifier l’existence de la crise ».
Dans ses réponses aux questions du Conseil, Meta a expliqué que les critères utilisés pour émettre une tolérance au titre de « l’esprit de la politique » et la révoquer dans des situations de crise étaient différents selon la nature de la politique et le contexte de la crise. L’entreprise a ajouté que, de manière générale, ses décisions étaient fondées sur les informations relayées par les équipes internes et, dans certains cas, par des intervenants externes. Dans ce cas, Meta a déclaré que sa décision avait été influencée par l’existence d’une « crise clairement établie » et notamment par « une couverture médiatique et une analyse économique » en matière de pénurie de médicaments pharmaceutiques. Meta a pris en compte le fait que « le besoin de médicaments pharmaceutiques était mentionné par des autorités médicales fiables ».
Meta a également déclaré en réponse aux questions du Conseil qu’au cours des trois dernières années, seule une minorité des tolérances accordées par l’entreprise ont été étendues, et qu’une faible proportion d’entre elles concernait la politique relative aux biens et services restreints. Les tolérances en matière de politique ne peuvent être émises que par les équipes internes de Meta « lors d’une remontée d’informations ». Les tolérances étendues en matière de politique sont des tolérances générales qui s’appliquent à tous les contenus qui correspondent un certain critère lorsqu’ils sont examinés par les examinateurs spécifiques. Les tolérances non étendues sont spécifiques à des publications en particulier.
Le Conseil a posé neuf questions par écrit à Meta. Les questions portent sur la tolérance au titre de « l’esprit de la politique » au Sri Lanka, sur le protocole de crise de Meta et sur l’approche générale de Meta quand il en va d’émettre des tolérances au titre de l’esprit de la politique et les révoquer. Meta a répondu à toutes les questions de manière complète.
7. Commentaires publics
Le Conseil de surveillance a reçu trois commentaires publics pertinents pour ce cas. Deux commentaires provenaient des États-Unis et du Canada, et un autre d’Amérique latine et des Caraïbes.
Les observations portaient sur les thèmes suivants : les risques liés à l’acceptation de dons de médicaments ; les préjudices causés par le fait que Meta n’autorise pas la coordination de collectes de dons de produits pharmaceutiques sur ses plateformes ; et la nécessité d’établir des critères clairs et respectueux des droits de l’homme lorsque Meta établit des exceptions à ses politiques.
Pour lire les commentaires publics transmis pour ce cas, veuillez cliquer ici.
8. Analyse du Conseil de surveillance
Le Conseil a choisi de se pencher sur ce cas, car les décisions de Meta de mettre en place une tolérance ou non pour les dons de médicaments en situations de crise auront des effets importants sur l’accès de la population aux soins et aux informations sur les crises sanitaires dans les pays concernés. Ce cas permet également au Conseil d’évaluer l’approche de Meta concernant les tolérances au titre de « l’esprit de la politique » et d’émettre des recommandations à cet égard, ainsi que l’approche de l’entreprise concernant les applications de ses règles dans des pays spécifiques. Le Conseil a examiné si ce contenu devait être supprimé en analysant les politiques de contenu de Meta, ses responsabilités en matière de droits de l’homme et ses valeurs. Le Conseil a également évalué les implications de ce cas pour l’approche plus globale de la gouvernance du contenu par Meta.
8.1 Respect des politiques relatives au contenu de Meta
Le Conseil estime que le contenu de ce cas enfreint le Standard de la communauté sur les biens et services restreints et son interdiction de contenu qui « cherche à obtenir des produits pharmaceutiques ». Toutefois, le Conseil estime qu’une tolérance étendue au titre de « l’esprit de la politique » a été accordée à juste titre pour permettre à cette publication, et à d’autres contenus similaires, de rester sur Facebook à un moment où les besoins sont impérieux au Sri Lanka.
I. Règles relatives au contenu
La politique de Meta en matière de biens et services restreints interdit de « faire don de produits pharmaceutiques ou d’en offrir » ainsi que les publications cherchant à obtenir des produits pharmaceutiques « sauf lorsque le contenu aborde l’abordabilité, l’accessibilité ou l’efficacité de produits pharmaceutiques dans un contexte médical ».
Le Conseil remarque que le contenu de ce cas faisait partie d’un effort de coordination de dons. Toutefois, il ne « tente [pas] de faire don de produits pharmaceutiques ou d’en offrir », mais invite plutôt les utilisateurs à faire don de produits médicaux. C’est la raison pour laquelle le Conseil estime que le contenu « cherche à obtenir des produits pharmaceutiques ».
Les règles internes de Meta pour les modérateurs de contenu donnent plus de précisions sur le fait qu’aborder « l’abordabilité » signifie mentionner les remises ou les offres (par exemple, « 5 $ de réduction sur l’ordonnance »), comparer la valeur des médicaments pharmaceutiques génériques et de marque ou énumérer les prix des vaccins. De plus, le contenu abordant l’accessibilité dans un contexte médical peut suggérer comment traiter un problème médical (par exemple, « si vous rencontrez les problèmes d’allergies, rendez-vous à la pharmacie ABC pour vous procurer de la méthylprednisolone »). Le contenu a été publié dans un contexte de crise concernant l’abordabilité et l’accessibilité des médicaments pharmaceutiques au Sri Lanka. Cependant, le Conseil estime que le contenu ne correspond pas aux exemples de discussions sur l’abordabilité et l’accessibilité telles qu’énoncées dans les règles internes. Ce contenu enfreint donc le Standard de la communauté. Le Conseil remarque que ces exemples ne font pas partie des textes destinés au public de la politique sur les biens et services restreints de Meta.
Selon Meta, une tolérance au titre de « l’esprit de la politique » peut être émise lorsque la justification de la Politique du Standard de la communauté pertinent et les valeurs de Meta exigent d’appliquer une stratégie différente de l’interprétation stricte des règles. La politique sur les biens et services restreints vise à « encourager la sécurité et prévenir les activités potentiellement dangereuses ». De même, la valeur de Meta appelée « Sécurité » permet de supprimer les contenus susceptibles de menacer la sécurité physique.
La sécurité exige des considérations différentes selon le contexte. Au cours de cette période, le Sri Lanka connaissait une crise sévère due à une pénurie de médicaments, ce qui constituait un risque sérieux pour la sécurité. Toutefois, il existe aussi des préoccupations en matière de sécurité quand il y va d’autoriser les dons de médicaments, surtout en temps de crise. L’OMS met en garde contre les dons de médicaments pharmaceutiques potentiellement expirés, conservés de manière inappropriée ou exiger des vérifications coûteuses et des contraintes de stockage pour des pays déjà en crise (Organisation mondiale de la santé, Guidelines for medicine donations [Directives en matière de dons de médicaments], page 6). Meta devrait également garder la politique sur les biens et services restreints lors de l’émission de tolérances. De plus, permettre aux utilisateurs de partager et d’échanger des médicaments potentiellement dangereux sur les plateformes Meta peut entraîner des utilisations abusives à des fins illicites ou dangereuses.
Malgré ces préoccupations légitimes, le Conseil estime que la décision de Meta de délivrer une tolérance étendue au titre de « l’esprit de la politique » pour autoriser le contenu qui tente de faire don de produits pharmaceutiques ou d’en offrir ou qui cherche à obtenir des produits pharmaceutiques en faveur du Sri Lanka est justifiée au vu de la crise économique du pays et de la pénurie de produits médicaux. Les besoins plus pressants en période de crise économique grave devraient prévaloir afin de préserver au maximum l’accès de la population aux soins de santé. Les préoccupations concernant la conservation des médicaments et leur potentielle utilisation abusive peuvent être limitées par d’autres parties responsables, telles que les autorités locales et les organisations engagées dans la distribution de médicaments, si elles sont correctement notifiées par Meta de la tolérance de la politique.
II. Mesures de mise en application
Meta a expliqué, en réponse à une des questions du Conseil, que différentes équipes internes peuvent être impliquées dans une décision d’émission ou de révocation d’une tolérance au titre de « l’esprit de la politique ». Cela peut inclure des équipes détenant une expertise en matière de sécurité, de droits de l’homme, ainsi qu’une expertise de la région concernée. Lorsqu’une tolérance est limitée dans le temps, Meta l’évalue périodiquement et décide de la renouveler ou de la révoquer. Meta a expliqué que la tolérance dont il est question dans ce cas a été révoquée le 10 novembre 2022, après que les équipes internes de l’entreprise ont déclaré que « la crise sanitaire au Sri Lanka s’est atténuée à un point tel que le risque d’abus potentiel lié à des demandes libres de dons de médicaments sur Facebook dépasse les bénéfices potentiels ». Lorsque le Conseil a posé une question complémentaire, Meta a expliqué ce qui suit :
Deux éléments semblent avoir atténué la crise : (i) de nouveaux dons de médicaments de la part d’organismes donateurs multilatéraux, d’ONG et de gouvernements qui ont endigué la pénurie et (ii) un nouveau gouvernement intérimaire qui a redéfini les priorités en matière de dépenses pour l’obtention de médicaments essentiels. Nous avons également constaté d’autres évolutions positives, notamment la mise en place par les hôpitaux locaux d’un système centralisé de coordination des produits médicaux et l’ouverture de nouvelles lignes de crédit auprès d’agences internationales et de l’Inde, dont certaines spécifiquement destinées à l’achat de médicaments.
En réponse à une autre question du Conseil, Meta a expliqué ce qui suit :
La tolérance de la politique s’applique uniquement au marché du Sri Lanka. Nous ne l’avons pas étendue aux publications en dehors de ce marché. Bien que le marché du Sri Lanka comprenne du contenu publié au Sri Lanka, il peut également inclure du contenu publié en cingalais en dehors du Sri Lanka, en raison de notre routage du marché.
Le Conseil prend note de l’incertitude de Meta quant à l’application effective de la tolérance en dehors du Sri Lanka et l’exhorte à revoir ses méthodes et pratiques d’application afin que Meta soit mieux à même d’anticiper les effets de la tolérance. Le Conseil a également noté que Meta a apparemment limité l’application de cette tolérance au marché du Sri Lanka et à la langue cingalaise. Le Sri Lanka a deux langues officielles, le cingalais et le tamoul, cette dernière étant largement parlée dans le pays et les diasporas, principalement par les minorités ethniques tamoule et musulmane. Les tolérances étendues devraient être sensibles à la diversité ethnique et linguistique des personnes qu’elles peuvent concerner, afin d’éviter toute discrimination involontaire.
III. Transparence
Le Conseil constate que Meta n’a pas publié d’informations sur la tolérance au titre de « l’esprit de la politique » dans son Espace modération ni dans les Standards de la communauté. Il serait bénéfique pour les utilisateurs de disposer d’une page présentant les critères utilisés par Meta pour décider s’il convient de mettre en place les tolérances au titre de « l’esprit de la politique » et quand les étendre. Meta devrait également publier des exemples de contenu pouvant faire l’objet de ce type de tolérance. Enfin, l’entreprise devrait inclure une liste des tolérances au titre de « l’esprit de la politique » étendues existantes dans son Espace modération et fournir des explications sur leurs motifs de création et de révocation. Cette page de l’Espace modération devrait également reprendre des informations agrégées sur les tolérances au titre de « l’esprit de la politique » déjà émises, ainsi que les circonstances dans lesquelles ces tolérances ont été accordées et les régions et/ou les langues concernées. Cette approche serait similaire à l’approche actuelle de Meta concernant la tolérance pour intérêt médiatique qui a évolué et s’est considérablement améliorée à la suite des mesures prises par l’entreprise en réponse aux recommandations formulées par le Conseil. Ce point est particulièrement important, car la tolérance au titre de « l’esprit de la politique », tout comme la tolérance pour intérêt médiatique, est une exception générale applicable à toutes les politiques en matière de contenu sur Facebook et Instagram.
8.2 Respect des responsabilités de Meta en matière des droits de l’homme
Le Conseil estime que le maintien du contenu sur la plateforme est conforme aux responsabilités de Meta en matière de droits de l’homme. Meta s’est engagée à respecter les droits de l’homme en vertu des Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (PDNU). Sa Politique d’entreprise relative aux droits de l’homme indique que cet engagement inclut le respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
La décision de Meta de décréter une tolérance a également été guidée par un souci du droit à la santé et à la vie des personnes. Le Conseil constate également que l’accès aux informations relatives à la santé est particulièrement important du point de vue de la liberté d’expression (A/HRC/44/49, paragraphe 6). Ces droits ont été compromis au Sri Lanka en raison de la grave crise politique et économique, qui a considérablement entravé l’accès aux produits médicaux.
Liberté d’expression (article 19 du PIDCP)
Le droit à la liberté d’expression a une portée large. L’article 19, paragraphe 2, du PIDCP offre une protection élevée de l’expression, notamment en matière d’affaires publiques (observation générale n° 34, paragraphe 11). L’expression peut être particulièrement importante lors d’une crise sanitaire, car elle concerne des questions d’une grande importance publique. Le rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté d’expression a souligné que « une information circulant librement, à l’abri des menaces et de l’intimidation et des sanctions, protège la vie et la santé et permet et favorise un débat et des décisions indispensables sur des questions sociales, économiques et politiques et d’autres grands enjeux » (A/HRC/44/49). Dans ce cas, le contenu coordonne une action visant à atténuer les risques pour le droit à la santé et à la vie des personnes au Sri Lanka résultant d’une grave crise économique.
Lorsque des limitations de la liberté d’expression sont imposées par un État, elles doivent remplir des critères de légalité, d’objectif légitime, et de nécessité et de proportionnalité (article 19, paragraphe 3 du PIDCP). Ces exigences sont souvent reprises sous intitulé « test tripartite ». Le Conseil utilise ce cadre pour interpréter les engagements volontaires de Meta en matière de droits de l’homme, à la fois pour la décision relative au contenu individuel en cours d’examen et pour ce que cela dit de l’approche plus large de Meta en matière de gouvernance du contenu. Comme l’a déclaré le Rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’expression disant que même si « les entreprises ne sont pas soumises aux mêmes devoirs que les gouvernements, leur influence est néanmoins telle qu’elle doit les inciter à se poser les mêmes questions qu’eux quant à la protection de la liberté d’expression de leurs utilisateurs » (A/74/486, paragraphe 41). Dans le cas, le Conseil a appliqué le « test tripartite » aux règles de Meta pertinentes reprises sous le Standard de la communauté sur les biens et services restreints et à la tolérance au titre de « l’esprit de la politique ».
I. Légalité (clarté et accessibilité des règles)
Le principe de légalité exige que les règles utilisées par les États pour limiter la liberté d’expression soient claires et accessibles (observation générale n° 34, paragraphe 25). Un manque de précision peut générer une interprétation subjective des règles et leur application arbitraire. Les individus doivent disposer de suffisamment d’informations pour déterminer si et comment leur liberté d’expression peut être limitée de manière à pouvoir adapter leur comportement en conséquence. Dans un rapport de 2018 traitant de la modération des contenus et des standards de légalité de l’article 19 du PIDCP, le Rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté d’expression a souligné le besoin de « clarté et de spécificité » dans les règles qui régissent les propos en ligne (A/HRC/38/35, paragraphe 46). Si l’on applique ce principe aux règles de Meta relatives au contenu sur Facebook, les utilisateurs devraient pouvoir comprendre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Le Conseil a conclu que, malgré le fait que l’interdiction par Meta de publier du contenu qui « cherche à obtenir des produits pharmaceutiques » est intelligible pour les utilisateurs, ses exceptions, notamment les règles en matière de tolérances au titre de « l’esprit de la politique », ne sont pas assez claires et accessibles pour les utilisateurs. Comme les restrictions sur les droits doivent être claires, toute exception à ces restrictions devrait également être suffisamment claire pour que les utilisateurs comprennent ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas publier. Toutefois, si le fait de ne pas avoir formulé correctement une autorisation permettant de s’exprimer davantage ne satisfait pas au critère de légalité, cela ne remet pas en cause l’application de cette autorisation en l’espèce, compte tenu du contexte dans lequel elle a été appliquée au Sri Lanka.
Le Conseil constate que dans le texte de la Politique sur les biens et services restreints destiné au public, Meta ne fournit pas suffisamment d’informations sur la manière dont est interprétée l’exception autorisant les contenus abordant « l’abordabilité, l’accessibilité ou l’efficacité de produits pharmaceutiques dans un contexte médical ». Les règles internes de Meta destinées aux modérateurs de contenu fournissent des exemples en la matière. Le Conseil est préoccupé par le manque de clarté de ces exceptions, car les utilisateurs doivent comprendre ce qu’ils sont autorisés à publier sans enfreindre les règles. Meta devrait fournir aux utilisateurs des indications plus claires sur la manière dont l’entreprise interprète ses politiques en matière de contenu en fournissant des exemples conformes à ses règles internes.
Le Conseil observe également que la tolérance au titre de « l’esprit de la politique » n’est mentionnée nulle part dans les Standards de la communauté. Les Standards de la communauté Facebook n’expliquent pas que l’entreprise met parfois en place des tolérances étendues et limitées dans le temps au titre de « l’esprit de la politique » permettant de contourner ses règles dans certaines régions ou dans certains pays. À l’heure actuelle, les utilisateurs n’ont aucun moyen de savoir ce qu’il en est de la tolérance au titre de « l’esprit de la politique » ou de son application aux Standards de la communauté, car il n’existe aucune explication publique. Les exceptions secrètes et discrétionnaires aux politiques de Meta sont incompatibles avec les normes de légalité. Dans l’une de ses réponses aux questions du Conseil, Meta a expliqué qu’au moment où la crise au Sri Lanka a commencé, l’entreprise n’avait pas encore lancé son Protocole de politique de crise, mais que pour les prochaines crises, « la tolérance pour le contenu cherchant à obtenir des produits pharmaceutiques, à en faire don ou à en offrir en période de conflit est un des leviers de la politique [...] documentés dans le cadre du protocole ». Le Conseil constate toutefois, dans ses échanges avec Meta, le manque de critères et de protocoles clairs (p. ex. des consultations avec les autorités locales et les intervenants externes) pour l’application de telles exceptions. Le Conseil souligne l’importance de s’assurer que l’application des tolérances est fondée sur des critères objectifs, ce qui se traduit par des décisions cohérentes en matière de création et de révocation. Le Conseille appelle donc Meta à publier publiquement les informations relatives à la tolérance au titre de « l’esprit de la politique » ainsi que les critères utilisés par l’entreprise pour appliquer cette tolérance aux Standards de la communauté.
Le Conseil admet que lorsqu’il s’agit de modérer de grandes quantités de contenu à l’échelle mondiale, il est nécessaire de disposer d’une tolérance « fourre-tout » pouvant être appliquée pour éviter des injustices évidentes. Les critères utilisés pour évaluer si une telle tolérance est justifiée devraient toutefois être rendus publics. En outre, lorsqu’une telle tolérance est appliquée de manière répétée de la même façon, comme Meta l’a fait occasionnellement pour les dons de produits pharmaceutiques en temps de crise, l’entreprise devrait évaluer soigneusement si cela doit ou non être spécifiquement prévu comme une exception à la politique concernée.
Enfin, les utilisateurs qui signalent des contenus ne sont pas avertis lorsqu’un contenu signalé fit l’objet d’une tolérance au titre de « l’esprit de la politique ». Dans ses réponses au Conseil, Meta a confirmé « ne pas notifier directement les utilisateurs des tolérances étendues appliquées aux politiques. » Dans sa décision « Manifestations en Colombie » (2021-010-UA), le Conseil a recommandé à Meta de notifier les utilisateurs qui ont signalé un contenu comme étant en infraction lorsque ce contenu est maintenu sur les plateformes Meta,car il fait l’objet de la tolérance pour intérêt médiatique. Meta est toujours en train d’évaluer la mise en œuvre de cette recommandation. De même, le fait de notifier les utilisateurs qui ont signalé un contenu faisant l’objet d’une tolérance au titre de « l’esprit de la politique » permettrait aux utilisateurs de mieux comprendre ce qu’implique une telle tolérance et pourquoi un contenu qui semble enfreindre une politique peut encore être accessible sur la plateforme.
II. Objectif légitime
L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit que lorsque les États restreignent l’expression, ils ne peuvent le faire qu’en vue de réaliser des objectifs légitimes, qui sont énoncés comme suit : « le respect des droits ou de la réputation d’autrui.... [et] la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ».
L’interdiction générale de Meta de « tente[r] de faire don de produits pharmaceutiques ou d’en offrir » et de « cherche[r] à obtenir » des médicaments pharmaceutiques vise à protéger la sécurité et la santé publiques (article 19, paragraphe 3 du PIDCP) et les droits d’autrui à la santé (article 12 du PIDESC) et à la vie (article 6 du PIDCP), qui sont tous des objectifs légitimes. Dans la justification de sa décision, Meta déclare que « ce contenu pourrait faciliter le transfert illicite de substances contrôlées ou la vente de médicaments pharmaceutiques à des consommateurs n’ayant pas d’ordonnance ou d’instructions d’un professionnel de la santé ». Ce principe est conforme à la justification de Meta présente dans le préambule de la politique sur les biens et services restreints, qui indique que la politique a été conçue pour « encourager la sécurité et prévenir les activités potentiellement dangereuses ».
III. Nécessité et proportionnalité
Le principe de nécessité et de proportionnalité stipule que les restrictions de la liberté d’expression « doivent être appropriées pour remplir leur fonction de protection ; elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché ; [et] elles doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger » (Observation générale n° 34, paragraphe 34).
Dans ce cas, appliquer la Politique sur les biens et services restreints n’aurait pas été une restriction proportionnelle de la liberté d’expression étant donné la grave crise politique et économique au Sri Lanka, qui a limité l’accès des Sri-Lankais aux médicaments, mettant en danger leur droit à la santé et à la vie. Cependant, la décision de Meta d’émettre une tolérance au titre de « l’esprit de la politique » a permis de protéger le droit à la vie et à la santé des Sri-Lankais pendant cette crise.
9. Décision du Conseil de surveillance
Le Conseil de surveillance confirme la décision de Meta de maintenir le contenu.
10. Avis consultatif sur la politique
A. Politique de contenu
1. Pour apporter plus de clarté aux utilisateurs, Meta devrait expliquer sur la page d’accueil des Standards de la Communauté, de la même manière que l’entreprise le fait avec la tolérance pour intérêt médiatique, que des tolérances par rapport aux Standards de la communauté sont possibles lorsque leur justification et les valeurs de Meta exigent d’appliquer une stratégie différente de l’interprétation stricte des règles. L’entreprise devrait intégrer un lien vers une page de l’Espace modération fournissant des informations sur la tolérance au titre de « l’esprit de la politique ». Le Conseil estimera que cette recommandation a été suivie lorsqu’une explication aura été apportée au Standard de la communauté.
B. Mise en application
2. Afin d’offrir plus de certitude aux utilisateurs, Meta devrait indiquer quand le contenu signalé fait l’objet d’une tolérance au titre de « l’esprit de la politique ». Conformément aux récents travaux de Meta visant à auditer ses systèmes de notification aux utilisateurs, comme indiqué dans sa réponse à la recommandation du Conseil dans le cas « Manifestations en Colombie » (2021-010-FB-UA), Meta devrait notifier tous les utilisateurs qui ont signalé un contenu considéré comme constituant une infraction, mais maintenu sur la plateforme parce qu’une tolérance au titre de « l’esprit de la politique » a été accordée pour la publication. La notification devrait intégrer un lien vers une page de l’Espace modération fournissant des informations sur la tolérance au titre de « l’esprit de la politique ». Le Conseil estimera que cette recommandation a été suivie lorsque Meta aura introduit le protocole de notification décrit dans cette recommandation.
C. Transparence
3. Conformément aux recommandations cinq et six du Conseil dans le cas « Slogan de protestation en Iran » (2022-013-FB-UA), le Conseil précise que Meta devrait publier des informations relatives à la tolérance au titre de « l’esprit de la politique » dans son Espace modération de la même manière que dans le cadre de la tolérance liée à la pertinence. Dans l’Espace modération, Meta devrait : (i) expliquer que les tolérances au titre de « l’esprit de la politique » peuvent être étendues ou restreintes ; (ii) publier des exemples de contenu ayant fait l’objet de ce type de tolérance ; (iii) fournir les critères utilisés pour décider quand étendre une tolérance au titre de « l’esprit de la politique » ; et (iv) inclure une liste de toutes les tolérances au titre de « l’esprit de la politique » étendues émises par Meta les trois dernières années ainsi que les explications des motifs de création et de révocation de ces tolérances. Meta devrait mettre cette liste à jour lorsque de nouvelles tolérances sont mises en place. Le Conseil considérera que cette recommandation a été suivie lorsque Meta rendra ces informations accessibles au public dans l’Espace modération.
4. Conformément aux recommandations cinq et six du Conseil dans le cas « Slogan de protestation en Iran » (2022-013-FB-UA), le Conseil précise que Meta devrait partager publiquement dans son Espace modération les informations agrégées relatives aux tolérances émises au titre de « l’esprit de la politique », y compris le nombre de cas dans lesquels ces tolérances ont été émises et les régions et/ou langues concernées. Meta devrait mettre ces informations à jour lorsque de nouvelles tolérances au titre de « l’esprit de la politique » sont mises en place. Le Conseil considérera que cette recommandation a été suivie lorsque Meta rendra ces informations accessibles au public dans l’Espace modération.
*Note de procédure :
Les décisions du Conseil de surveillance sont préparées par des panels de cinq membres et approuvées par une majorité du Conseil. Elles ne représentent pas nécessairement les opinions personnelles de tous ses membres.
Pour la décision sur ce cas, des recherches indépendantes ont été commandées au nom du Conseil. Le Conseil était assisté d’un institut de recherche indépendant, dont le siège se trouve à l’université de Göteborg. Il avait mobilisé une équipe de plus de 50 spécialistes en sciences sociales sur 6 continents ainsi que 3 200 spécialistes nationaux du monde entier. Duco Advisers, une société de conseil qui se concentre sur les recoupements entre la géopolitique, la confiance, la sécurité et la technologie, a également prêté assistance au Conseil. Memetica, une organisation qui effectue des recherches open-source sur les tendances des réseaux sociaux, a également fourni une analyse.
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