POURQUOI LES DEMANDES GOUVERNEMENTALES DE SUPPRESSION DE CONTENU SUR LES MÉDIAS SOCIAUX SONT-ELLES SECRÈTES ? RENDEZ-LES PUBLIQUES.
By Michael W. McConnell
Pendant que la plupart des Américains célébraient le 4 juillet, le juge fédéral Terry A. Doughty, en Louisiane, a prononcé une importante décision de justice. Estimant qu’il existe des « preuves substantielles » que le gouvernement fédéral a mené une « campagne de censure de grande envergure » visant à contraindre les entreprises de médias sociaux à étouffer les propos critiques à l’égard de la politique gouvernementale, le juge Doughty a prononcé une injonction préliminaire. Celle-ci interdit à un large éventail de fonctionnaires fédéraux d’entrer en contact avec ces entreprises en vue d’inciter à la suppression ou à l’invisibilisation de discours protégés par la Constitution américaine (sauf en cas de risque de sécurité nationale, d’activités criminelles et d’un certain nombre d’autres sujets).
Comme on pouvait s’y attendre, la sphère politique a réagi de façon polarisée : d’un côté, on se réjouit que la Cour mette fin à ce qu’elle qualifie de « ministère de la Vérité », en référence à Orwell ; en face, on met en garde contre les vagues de fausses informations qui déferleront sur les médias sociaux si le gouvernement ne collabore pas avec les entreprises de médias sociaux pour identifier et supprimer ce qu’il considère comme de la « désinformation » et de la « mésinformation ».
Le Département de la Justice a d’ores et déjà annoncé qu’il ferait appel.
L’argument fondé sur le premier amendement présenté par le tribunal va probablement trop loin, et pourrait être révisé ou restreint en appel. Le premier amendement ne limite pas la liberté des entreprises de médias privées à refuser de diffuser des propos qu’elles jugent répréhensibles, même si ceux-ci sont protégés par la Constitution en ce sens qu’ils ne peuvent pas être interdits ou sanctionnés par l’État. La Constitution n’empêche pas non plus le gouvernement de déterminer ce qu’il considère comme de la « désinformation » et d’utiliser des moyens non coercitifs pour convaincre des parties privées d’en limiter la diffusion.
À juste titre, le juge a admis que les protections conférées par le premier amendement n’interviennent que lorsque le gouvernement « a exercé un pouvoir coercitif ou a fait preuve d’un "encouragement significatif", qu’il soit manifeste ou non, au point que le choix doit être considéré comme étant celui de l’État ».
Problème : la frontière entre persuasion légale et coercition illégale de la part du gouvernement est ténue. Dans un monde où les agences gouvernementales possèdent un grand pouvoir réglementaire discrétionnaire, les entreprises de médias peuvent redouter l’hostilité du gouvernement si elles ne se plient pas à ses demandes, même en l’absence de menaces directes. À l’inverse, il est probable que, dans de nombreux cas, les entreprises ont coopéré volontiers, dans la mesure où elles partageaient les valeurs et les objectifs sous-jacents du pouvoir en place. Les dirigeants de ces entreprises sont susceptibles de témoigner avoir agi selon leur libre arbitre, ce qui rend difficile de prouver l’existence d’une coercition exercée par les pouvoirs publics.
En outre, il ressort que dans un nombre surprenant de cas, les dirigeants de médias sociaux se sont opposés aux demandes du gouvernement de supprimer ou de déclasser les messages qui posaient problème. En effet, selon la Cour, le FBI a enregistré un taux de réussite de 50 % seulement en ce qui concerne ses demandes de suppression ou d’invisibilisation dans le cadre de prétendues manœuvres de désinformation électorale. Ce constat laisse à penser que les efforts déployés par les gouvernements pour lutter contre la désinformation pourraient se révéler moins efficaces que ne l’espèrent leurs partisans ou que ne le craignent leurs détracteurs.
Toujours est-il que la synthèse des preuves et des allégations de l’affaire établie par le tribunal de district a rempli une mission de service public. La plupart des actions gouvernementales mentionnées dans la décision ont été menées dans le secret et n’ont été rendues publiques qu’à la suite de découvertes au cours de l’affaire. Bien peu d’Américains pouvaient se douter de la fréquence et de l’ampleur des efforts déployés par les autorités pour influencer les propos tenus sur les médias sociaux.
Parfois, même après avoir expliqué en quoi les messages visés par le gouvernement n’enfreignaient pas les lignes directrices officielles, les fonctionnaires ont continué à faire pression pour obtenir gain de cause. Dans certains cas, ils ont été jusqu’à exiger des entreprises qu’elles les informent des mesures prises.
Sur certains sujets de controverse, tels que la théorie d’une fuite de laboratoire comme origine de la pandémie ou celle de l’authenticité de l’ordinateur portable de Hunter Biden, il est difficile de concevoir en quoi l’intérêt public pourrait être mis à mal par un débat public, que les opinions exprimées se révèlent ou non être de « fausses informations ». En ce qui concerne la suppression de critiques formulées par des experts accrédités à l’encontre des politiques gouvernementales de confinement, il apparaît que le gouvernement avait tort et que les critiques étaient fondées.
En attendant que les tribunaux tranchent les questions de constitutionnalité, le meilleur moyen de lutter contre les éventuels abus des pouvoirs publics est d’informer les citoyens et de les obliger à rendre des comptes. Dans la mesure où les efforts déployés par le gouvernement étaient (selon les termes d’un représentant de la Maison-Blanche) des « actions réfléchies visant à protéger la santé et la sécurité publique face à des menaces telles qu’une pandémie mortelle ou des ingérences étrangères au cours de nos élections », l’opinion publique y est vraisemblablement favorable. Toutefois, si ces actions sont motivées par des considérations partisanes ou des tentatives d’étouffer des différends scientifiques légitimes sur le bien-fondé de la politique gouvernementale, elle risque de le percevoir d’un mauvais œil.
Quelle que soit l’issue de l’appel de l’ordonnance du juge, une solution pragmatique pourrait permettre de résoudre le problème : que les plateformes de médias sociaux rendent publiques les demandes de suppression formulées par les gouvernements. C’est ce qu’a préconisé le Conseil de surveillance de Meta, la maison mère de Facebook, au printemps dernier. Le Conseil (dont je fais partie) est un organe mondial et autonome qui est habilité à examiner les politiques de modération du contenu de l’entreprise. Selon le Conseil, Meta « devrait faire preuve de transparence et rendre compte régulièrement des demandes d’examen de contenu émanant d’acteurs étatiques » dans le cadre de diverses politiques, notamment la politique relative aux fausses informations sur le coronavirus, les tentatives de puissances étrangères visant à faire taire les discussions sur le traitement des prisonniers politiques, ou encore les demandes émanant des services de police.
Le Conseil a souligné que les demandes gouvernementales de suppression de contenu sont « particulièrement problématiques lorsqu’il s’agit de réprimer des manifestants pacifiques ou des défenseurs des droits humains, d’encadrer les débats sur les origines de la pandémie et de réduire au silence ceux qui critiquent ou remettent en question les mesures prises par les pouvoirs publics pour gérer la crise de la santé publique ».
Si Facebook et d’autres plateformes de médias sociaux adoptaient cette recommandation, le problème de la censure pratiquée par le gouvernement s’en trouverait amélioré, sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’intervention d’un tribunal.
Même s’il peut être ardu de faire la distinction entre persuasion et coercition de la part du gouvernement, aucune raison valable ne justifie que ces efforts soient maintenus dans l’ombre. Si les citoyens étaient informés lorsque des représentants du gouvernement demandent aux entreprises de médias sociaux de supprimer des propos protégés par la Constitution, les autorités feraient peut-être preuve d’une plus grande retenue et s’éloigneraient de cette frontière périlleuse.
Cet article a été publié pour la première fois dans le Washington Post en juillet 2023.